LE TEMPS

(ce cours constituait l’introduction à la lecture de la perception du changement in « la pensée et le mouvant », de Bergson. Je me suis contenté d’y inclure directement les textes cités en référence. On pourra se référer avec profit à ce cours, ainsi qu’aux deux conférences. On complètera utilement cette réflexion par une lecture du cours-commentaire du texte de Merleau-Ponty –phénoménologie de la perception)

 

Introduction : Le problème de l'être du temps

En paraphrasant ce que Bergson dit de la conscience "Vous pensez bien que je ne vais pas définir une chose aussi concrète aussi présente à l'expérience de chacun d'entre nous en lui opposant une définition qui serait moins claire qu'elle[1]", on pourrait dire du temps qu'il fait partie de ces notions communes comme la vie, la conscience ou la liberté, dont tout le monde use, et que chacun pense connaître, mais dont nous serions incapables, en dépit de leur surdétermination de donner un sens précis, synthétique et universel. Il est donc important, en préambule à l'étude du texte de Bergson, de faire le point sur l'approche que nous avons du temps.

 

1 - La relativité du temps.

La première idée que nous pouvons mettre en doute, c'est que, pas plus qu'il n'existe d'espace universel, il n'existe pas, dans la biosphère, de temps universel. Au contraire, chaque espèce vivante semble posséder son propre espace et son propre temps. Chaque espèce délimite, dans ce qui paraît à l'homme un milieu universel, autant de milieux (d'espace et de temps) spécifiques.2" Le temps des séquoias, qui meurent millénaires n'est pas celui des éphémères, qui ne vivent que quelques heures, ni celui des primates : tous possèdent en eux leur propre durée. Sauf peut-être l'espèce humaine dont on pourrait dire qu'elle est originellement a-topique et a-chronique. Du moins l'espèce humaine ne semble pas posséder d'instinct une temporalité spécifique : autant de cultures, autant de pensées du temps.

Cette difficulté de parler d'un temps universel se double d'une impossibilité  de le penser de manière homogène. D'un point de vue simplement biologique, au sein de l'espèce humaine, le temps du vieillard n'est pas celui de l'enfant, comme Le Comte de Noüy le remarque.

 

Intuitivement nous nous rendons bien compte que la valeur du temps n'est pas la même pour un insecte éphémère qui vit quelques jours, et pour l'homme qui vit jusqu'à quatre-vingts ou cent ans. Le rythme des réactions n'est pas identique. Et pouvons‑nous affirmer que cette valeur est la même au début et à la fin de la vie humaine ? L'expérience nous enseigne que le temps "semble" s'écouler plus vite à mesure que nous avançons en âge. S'agit‑il là d'une illusion, ou bien au contraire d'une réalité biologiques

 

A la suite d'une longue série de recherches et d'expériences commencées pendant la guerre de 1 9 1 4‑ 1 9 1 8, nous avons réussi à montrer que la vitesse de cicatrisation des plaies variait en fonction de la surface de la plaie et de l'âge du blessé. Nous aboutîmes à une formule mathématique simple dans laquelle un seul coefficient exprimait cette double relation, et flous appe­lâmes ce coefficient " I'indice de cicatrisation " (...).

 

Dans les années qui suivirent, quand nous eûmes conçu la possibilité d'existence d'un «temps physiologique » différent du «temps physique » ou astronomique, nous nous efforçâmes d'éliminer l'élément individuel de la Formule, à savoir l'influence de la surface de la plaie : une petite plaie se cicatrise plus vite qu'une grande chez un homme d'un âge donné. Ce résultat fut atteint grâce à un artifice mathématique qui consista simple­ment à multiplier l'indice de cicatrisation par la racine carrée de la surface de la plaie. Et le nouveau coefficient ainsi obtenu —que nous avons appelé constante d'activité physiologique de réparation A— ne dépendait plus que de l'âge de l'homme (ou de l'animal) et exprimait comme son nom l'indiques l'activité spécifique correspondant à un âge donné.

Les valeurs expérimentales de ce coefficient A basées sur un grand nombre de cas (plus de 600) sont les suivantes:

 

AGES:       10               20          25          30          32          40          50          60 ans

A =             0,400          0,260     0,225     0,198     0,188     0,l44 0,103     0,08

 

Ces chiffres montrent que l'activité réparatrice des tissus varie considérable­ment au cours de la vie : elle est cinq fois plus grande à l'âge de dix ans qu'à soixante ans. Schématiquement, une plaie qui se cicatrise en vingt jours chez un enfant de dix ans, se cicatrisera environ en trente et un jours chez un homme de vingt ans, en quarante et un jours chez l'homme de trente ans, en cinquante‑cinq jours s'il a quarante ans, en soixante‑dix‑huit jours s'il a cinquante ans et en cent jours s'il a soixante ans. L'activité diminue donc très rapidement (...).

 

Cela signifie qu'à des âges différents il faut  des temps différents pour accomplir le même travail

 

Or, nous pouvons mesurer le temps non seulement par une vitesse supposée constante, comme celle de la rotation de la terre, mais par un travail, si nous sommes certains que ce travail est effectué à vitesse constante. Il semblerait donc que nous ne puissions pas mesurer le temps en nous basant sur la vitesse de cicatrisation puisque nous avons précisément démontré que celle‑ci varie au cours de la vie. D'autre part, nous devons nous souvenir que cette variation n'est observée que par comparaison à an étalon de temps emprunté au monde inanimé, au mouvement des astres, qui semblent évoluer dans un temps arithmétique, uniforme. Mais il n'y a aucune raison évi­dente pour que ce temps physique, conceptuel, s'applique aux organismes vivants qui naissent, vivent, meurent, et sont le siège de phénomènes essen­tiellement différents de ceux du monde inorganisé, qui ignore la périodicité individuelle, I'adaptation et ]'évolution phylogénétique. Le rythme de notre existence cellulaire est infiniment plus important pour nous que le rythme éternellement indifférent des planètes et des soleils (...).

Notre temps, le temps individuel des choses vivantes qui naissent et qui meurent, est plus réel et plus significatif pour nous que le temps mathéma­tique conçu par nous, mais étranger à nos activités vitales. Et rien ne nous oblige à compartimenter notre vie intérieure au moyen de cadres rigides empruntés à une évolution qui n'est pas la nôtre. Si nous choisissons d'interchanger nos étalons et de mesurer le temps physique au moyen de temps physiologique, nous constatons que tout se passe comme si le temps physique s'écoulait beaucoup plus rapidement au début de la vie qu'à la fin, logarithmiquement—comme celui des atomes radio‑actifs — et non plus arithmétiquement (...).

On sait que, psychologiquement, on peut se faire une idée de la valeur du temps aux différents ages en raisonnant de la façon suivante: une années pour un enfant de cinq ans, représente le cinquième de son existence totale, et à peine le quart de son existence consciente. Pour un homme de cin­quante ans, une année ne représente plus que le cinquantième de son existence. Elle lui paraît donc beaucoup plus courte. Or, chose curieuse, les courbes mathématiques (hyperbole équilatère et courbe logarithmique) exprimant d'une part cette observation, et d'autre part les variations de la constante d'activité physiologique de réparation A, coïncident sur une partie importante de leur longueur, entre les Ages de dix ans et de quatre-­vingts ans.

Nous pouvons donc mesurer le raccourcissement de nos années et la valeur relative du temps de nos horloges à différentes périodes de notre vie, et nous voyons qu'une heure de l'existence d'un enfant de dix ans vaut cinq heures de la vie d'un homme de soixante ans. En d'autres termes, au cours de soixante minutes du temps de nos horloges, un enfant a vécu, physiolo­giquement et psychologiquement, autant qu'un homme de soixante ans en cinq heures.

P. Lecomte du Noüy, Entre croire et savoir Coll. l 'Esprit et la main, Hermannl, 1964, pp. 294‑298

 

Et ce pour une double raison : la première est que nous mesurons l'âge de l'un et de l'autre comme une progression linéaire, aux intervalles identiques ; or, le rapport de leurs âges réels (biologique) suit une progression géométrique. Si nous prenions comme mesure, non plus l'âge solaire de l'un et de l'autre, mais un critère biologique (comme par exemple la vitesse de cicatrisation d'une plaie), nous nous en rendrions compte. Mais aussi, sur le plan psychologique, la saisie relative du temps n'est pas la même, chez l'un comme chez l'autre : une année pour un enfant de 5 ans est 1/5e de sa durée totale de vie, elle ne représente plus qu'1/70e de l'âge d'un septuagénaire.

Le temps est toujours mesuré par rapport à l'espace, non pas en lui-même. A proprement parler, on ne "mesure" pas du temps : on compare des mouvements dont l'un a pour caractéristiques d'être régulier, étalonné, et peut se comptabiliser en termes d'espace parcouru, et l'autre, le phénomène mesuré, est au contraire irrégulier, discontinu, en un mot, hétérogène.

 

J'ai souvent fait cette petite expérience dans mes cours à Dijon, le temps vide, uniforme inactif -- s'il existe—n'a plus qu'une qualité: sa durée : essayons donc de mesurer cette durée, de nombrer cette uniformité. Et je proposais à mes bleues d'apprécier en secondes un laps de temps déter­miné. Je commençais en leur rappelant la solide objectivité de l'année, du jour de l'heure de la minute, de la seconde. Je leur rappelais aussi avec quelle sécurité ils se servaient, dans la vie commune de ces notions. Je leur demandais alors de compter le nombre de secondes d'un silence général que j'appréciais moi-même en suivant l'expérience sur mon chronomètre.

 

Je fus très frappé des résultats de cette enquête. Dans une classe de qua­rante élèves, les appréciations varièrent du simple au quintuple; il y eut des étudiants qui trouvèrent 30 secondes dans une minute, tandis que d'autres en trouvèrent 150. Je recommençai cette expérience plusieurs lois, avec des étudiants différents et toujours d'une manière impromptue. Les résultats furent toujours aussi divergents. On peut immédiatement en conclure que le temps pur est bien mal connu ; il est, je crois, d'autant plus mal connu qu'il est plus vidé, moins actif, privé des relations qui permettent de le mesurer. Dès qu'on est débarrasse des repères objectifs, on mesure le temps à la besogne que l'on tait plutôt que de mesurer la besogne au temps qu'elle réclame.

G. Bachelard, La continuité et la  multiplicité temporelles

Bulletin de la Société française de Philosophie, .A. Colin, mars‑avril 1937

 

FOn pourra lire le texte de Bergson comme une tentative de dépasser cette relativité du temps (en redonnant un sens au concept de temps universel) ; on y retrouvera aussi une critique de la réduction du problème du temps à celui de la mesure du temps : est-ce la même chose de mesurer le temps et de comprendre ce qu'il est ? Si la mesure du temps se fait toujours par rapport à l'espace, n'est-ce pas d'une certaine manière en nier l'essence, que Bergson placera dans le mouvement ?

 

2 - La subjectivité du temps.5

C'est une idée commune de considérer que le temps est subjectif ; au sens le plus ordinaire, cela signifie que la durée est qualitativement saisie, et non quantitativement ; en d'autres termes, dans l'ennui le temps nous semble s'étirer démesurément, dans la passion il nous semble toujours trop court.

C'est à Saint Augustin que nous devons d'avoir thématisé cette idée de l'expérience subjective du temps.

 

Qu'est‑ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus. Pourtant, je le déclare hardiment, je sais que si rien ne passait, il n'y aurait pas de temps passé; que si rien n'arrivait, il n'y aurait pas de temps à venir; que si rien n'était, il n'y aurait pas de temps présent.

 

Comment donc, ces deux temps, le passé et l'avenir, sont‑ils, puisque le passé n'est plus et que l'avenir n'est pas encore ? Quant au présent, s'il était toujours présent, s'il n'allait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, il serait l'éternité, Donc, si le présent, pour être du temps, doit rejoindre le passé, comment pouvons‑nous déclarer qu'il est aussi, lui qui ne peut être qu'en cessant d'être ? si bien que ce qui nous autorise à affirmer que te temps est, c'est qu'il tend à n'être plus [:

 

Ce qui m'apparaît maintenant avec la clarté de l'évidence, c'est que ni l'avenir, ni le passé n'existent. Ce n'est pas user de termes propres que de dire "il  y a trois temps, le passé, le présent et l'avenir. " Peut‑être dirait‑on plus justement : "il y a trois temps: le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur. " Car ces trois sortes de temps existent dans notre esprit et je ne les vois pas ailleurs. Le présent du passé, c'est la mémoire; le présent du présent, c'est l'intuition directe; le présent de l'avenir, c'est l'attente. Si l'on me permet de m'exprimer ainsi, je vois et j'avoue qu'il y a trois temps, oui, il y en a trois.

 

Que l'on persiste à dire " il y a trois temps, le passé, le présent et l'avenir ", comme le veut un usage abusif, oui qu'on le dise. Je ne m'en soucie guère, ni je n'y contredis ni ne le blâme, pourvu cependant que l'on entende bien ce qu'on dit, et qu'on n'aille pas croire que le futur existe déjà, que le passé existe encore. Un langage fait de termes propres est chose rare très souvent nous parlons sans propriété, mais on comprend ce que nous voulons dire.

Saint Augustin Les Confessions, Livre XI, Ch. 14-20, Garnier

 

Augustin démontre que l'opinion commune se trompe lorsqu'elle cherche dans le monde objectif, dans la succession des événements, l'être réel du temps. Rechercher l'être du temps dans le monde extérieur, dans le présent de l'événement, cela conduit à une aporie "le temps ne peut être qu'en cessant d'être" C'est donc du côté du sujet qu'il faut rechercher cette réalité du temps : "ces trois sortes de temps existent en nous et je ne les vois nulle part ailleurs" La seule dimension véritable du temps est donc le présent de la pensée, seule capable de le faire sortir par la mémoire et l'anticipation de sa pure contingence événementielle.

C'est ce même thème que Merleau-Ponty8 développe dans sa célèbre exégèse de la métaphore héraclitéenne du temps9.

 

Le passage du présent à un autre présent, je ne le pense pas, je n'en suis pas le spectateur, je l'effectue, je suis déjà au présent qui va venir comme mon geste est déjà et son but, je suis moi‑même le temps, un temps qui "demeure" et ne "s'écoule" ni "ne change", comme Kant l'a dit clans quelques textes. Cette idée du temps qui se devance lui‑même, le sens commun l'aperçoit a sa façon. Tout le monde parle du temps, et non pas comme le zoologiste parle du chien ou du cheval, au sens d’un nom collectif, mais au sens d'un nom propre. Quelque fois même, on le personnifie. Tout le monde pense qu'il y a là un seul être concret, tout entier présent en cha­cune de ses manifestations comme un homme est dans chacune de ses paroles. On dit qu'il y a un temps comme on dit qu'il y a un jet d'eau : l'eau change et le jet d'eau demeure parce que la forme se conserve; la forme se conserve parce que chaque onde successive reprend les fonctions de la précédente : onde poussante par rapport à celle qu'elle poussait, elle devient a son tour onde poussée par rapport à une  autre ; et cela même vient enfin de ce que, depuis la source jusqu'au jet, les ondes ne sont pas séparées : il n'y a  qu'une seule poussée, une seule lacune dans le flux suffirait à rompre le jet. C'est ici que se justifie la métaphore de la rivière, non pas en tant que la rivière s'écoule, mais en tant qu'elle ne fait qu'un avec elle-même. Seulement, cette intuition de la permanence du temps est compromise dans le sens commun, parce qu'il le thématise ou l'objective, ce qui est justement la plus sûre manière de l'ignorer. Il y a plus de vérité dans les personnifications mythiques du temps que dans la notion du temps considéré, à la manière scientifique comme une variable de la nature en soi ou, à loi manière kantienne, comme une forme idéalement séparable de sa matière. Il y a un style tempo­rel du monde et le temps demeure le même parce que le passé est un ancien avenir et un présent récent, le présent un passé prochain et un avenir récent, l'avenir enfin un présent et même un passé à venir, c'est‑à‑dire parce que chaque dimension du temps est traitée ou visée comme autre chose qu'elle‑même ‑c'est‑à‑dire enfin parce qu'il y a au cœur du temps un regard, ou, comme dit Heidegger, un Augenblick, quelqu'un par qui le mot comme puisse avoir un sens.

 

  MERLEAU‑PONTY, Phénoménologie de la perception, p 482

 

Les personnifications mythiques du temps contiennent à la fois une vérité, et une lourde confusion. Elles reconnaissent bien dans le temps une personne, mais sont incapable de voir en elle le sujet conscient lui-même. Elles substantifient le temps, ce qui est une manière d'en ignorer la nature. Pour ce philosophe, seule une conscience, au cœur du temps, peut penser "chaque dimension du temps comme autre chose qu'elle-même", ce qui revient à dire qu'aucune d'entre elles n'est jamais visée pour ce qu'elle est, mais toujours relativement aux autres. Pour qu'il y ait du temps, il faut donc un sujet pour le penser, "quelqu'un par qui le mot comme puisse avoir un sens." Le temps, c'est l'autre mot pour dire la subjectivité.

FComment situer Bergson par rapport à ce problème de la subjectivité du temps ? Certes, quelques textes pourraient nous faire conclure à une identité de vue par rapport aux deux auteurs cités ci-dessus. Ne dit-il pas "Conscience signifie avant tout mémoire (...) anticipation" N'est-ce pas faire de la conscience l'opération psychique par laquelle l'homme se révèle l'être capable de penser le temps ? Sans doute ; mais il ne faut pas limiter la question de la durée chez Bergson à cette synthèse subjective du temps. En effet, nous découvrirons plus loin comment Bergson postule une existence du temps au-delà et surtout en deçà de l'existence du sujet pensant. Qu'est donc cette durée universelle ? Il faut considérer que, pour Bergson, si l'homme est le seul à pouvoir penser le temps, sa propre durée n'en fait pas moins partie d'une durée plus large, d'un seul et même mouvement qui co-affecte aussi bien le monde vivant que le monde des choses. En postulant l'universalité du mouvement, Bergson échappe à la tentation d'un solipsisme du temps, à une conception qui rendrait impossible de concilier l'éternel présent du monde, et la vision mouvante et synthétique qu'en a l'homme.

 


3 - Le caractère intersubjectif de la saisie du temps.

A l'évidence, réduire le temps à la seule expérience subjective nous conduit à des apories11 : outre que la communication entre les individus sur le temps ne serait pas possible, nous ne pourrions pas penser le temps ni agir sur lui, si nos points de repères se réduisaient aux seuls événements de notre histoire personnelle.

Nécessité de repères intersubjectifs (culturels)

C'est à travers le langage que se réalise notre perception du temps. "le présent du discours est un centre générateur et axial à la fois12" On peut citer tout d'abord les divers mots (aujourd'hui, hier, demain etc...) qui servent à parler du temps et dont les conventions créent l'intersubjectivité. Seule cette intersubjectivité permet de dépasser la particularité subjective de chaque expérience du  temps. Mais aussi les temps verbaux qui permettent, à partir du présent de l'acte de parole, de penser les autres dimensions du temps. On citera enfin les conventions du calendrier et ses découpages internes, qui, par leur caractère arbitraire se rattachent aux conventions du langage.

Représentations du temps :

Toute culture, tout système de pensée, fournit à ceux qui le partagent des représentations du temps, sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir. On peut toutefois distinguer :

- Les représentations religieuses ou mythiques du temps, dominées par la distinction entre temps sacré et temps profane (Mircea Eliade)

- Les représentations socialisées ("séculières") du temps : essentiellement liées à la vie économique et au travail, elles sont la représentation dominante de notre société.

- Les représentations rationalisées du temps, le temps considéré comme variable dans les sciences et les techniques.

 

FComment situer la thèse défendue par Bergson dans "La pensée et le mouvant" par rapport à ce temps ? Parce que les représentations mythiques du temps ont tendance à le substantialiser, puisque les représentations rationnelles du temps ont tendance à le spatialiser, elles risquent d'en méconnaître le caractère fondamental qui est pour Bergson le mouvement. Il est évident que, pour mesurer le temps, pour le gérer, ou se situer dans la durée, nous avons besoin de ces analogies spatiales ; nous avons aussi besoin d'unités de mesure (seconde, heures, jours etc...) Mais il ne faut pas perdre de vue que ce ne sont pas des être réels, mais de simples conventions ; que la représentation spatialisée du temps n'est qu'une métaphore pratique, en bref, que tout ce que la culture produit à propos du temps n'est destiné qu'à un usage : c'est un point de vue utilitaire sur le temps, mais qui ne dit en rien ce qu'est l'être du temps. Le temps envisagé dans les représentations sociales ou culturelles, la spatialisation est une réduction de la durée réelle. On verra que cette opposition entre pratique et connaissance est une des clefs de la conférence de Bergson.

 

M. Le Guen 1998-06 2001

 

 

 

 

 

 



[1] Bergson : Bergson, La conscience et la vie, (1911) in L'énergie spirituelle, PUF

[1]Von Uexkull

 

 

[1]Par subjectivité, on entendra ici "relatif au sujet" par opposition à objectivité "relatif à l'objet" en enlevant de ces deux concept toute connotation péjorative ou laudative.

 

 

[1]Maurice Merleau-Ponty : Phénoménologie de la perception cf. cours sur ce texte, disponible sur Philo’n net

[1]"On ne se baigne pas deux fois dans la même eau"

[1]cf. Bergson : Ibidem

[1] Aporie : impasse logique, impossibilité logique de poursuivre un raisonnement.

[1] Benveniste :