Notes de lecture
sur
Albert Memmi
La dépendance
Albert MEMMI
Né à Tunis en 1920. Famille juive arabophone. Études de Philosophie à Alger puis Paris (agrégé après la guerre). Il est incarcéré dans un camp de travail en 1943. Il se marie avec une Française. Il dirige à Tunis le Centre de psychologie de l'Enfant. Fixé en France après l'Indépendance (en 1956). Professeur à l'Université de Nanterre. Prix de l'Union rationaliste pour 1994. Grand Prix littéraire du Maghreb de la Fondation Noureddine Aba en 1995.
La Statue de sel, roman (préface d’Albert Camus), Éditions Corréa,
1953, Éditions Gallimard, 1966.
Agar,
roman, Éditions Corréa, 1955.
Portrait du colonisé, précédé du Portrait
du colonisateur, préface de Jean-Paul Sartre, Éditions Corréa,
1957, Éditions J.-J. Pauvert, collection " Libertés ", 1966.
Portrait d’un juif, Éditions Gallimard, 1962, Folio, 2003.
L’Homme dominé, Gallimard, 1968.
Anthologie des littératures maghrébines (en collaboration), Éditions Présence africaine,
tome I, 1965, et II, 1969.
La Dépendance, préface de Fernand Braudel, suivi d’une lettre de Vercors, Gallimard,
1979.
Le Racisme (description, définition, traitement), Gallimard, " Idées ", 1982, Folio, 1994.
Le Nomade immobile, Arléa, 2000.
Dictionnaire critique à l’usage des incrédules, Le Félin, 2002.
Portrait du décolonisé, Gallimard, 2004
La dépendance
Problématique générale de l’œuvre :
« Où, comment des réseaux de dépendance se tissent
pour former la trame de toute existence ». Albert Memmi ne voit là ni
faute ni maladie, simplement un trait constant de la condition humaine.
«Le racisme est une
dévalorisation d'autrui afin d'en tirer quelque avantage.» Ce n’est pas simplement une dévalorisation pour
dévaloriser : il exprime le besoin des autres.
(p.29-32)
Objet du livre : « définir et situer la dépendance au regard de quelques conduites humaines fondamentales. » (p. 102)
INTRODUCTION ESSAI DE DEFINITION
1- Dépendance et dominance
p. 26 : « à
la question « qui est dépendant ? » je suis convaincu qu’on doit
répondre : « tout le monde ». Chacun à sa manière, certes,
inégalement, relativement à un ou plusieurs objets, d’une manière dynamique et
variable selon les conjonctures. Mais cette espèce de portrait de l’homme
dépendant qui est ici esquissé pourrait être, judicieusement retouché selon les
cas, celui de n’importe qui. L’homme dépendant, enfin, est encore l’une des
figures les plus courantes et les plus indiscutables de l’universelle
humanité ; au même titre que celle de l’homme dominant ou de l’homme dominé.
Et souvent, c’est la même, vue sous un autre éclairage, car si les hommes se
dominent fréquemment les uns les autres, ils ont au moins autant besoin les uns
des autres. »
La dépendance ne sera donc pas traitée sur l’angle de la morale, ou de la pathologie, mais comme une caractéristique fondamentale de la vie sociale : les sociétés humaines pourraient être étudiées comme de vastes réseaux de dépendance et de pourvoyance.
La dominance n’est donc qu’un cas
particulier de la dépendance. Le maître a autant besoin de l’esclave que
l’esclave a besoin du maître.
2- Essai de définition de la
dépendance
La domination est l’ensemble des contraintes imposées par le dominant sur le dominé.
La sujétion est l’ensemble des réponses, actives ou passives, du dominé aux agressions du dominant.
Le couple domination/sujétion
est un couple dual
La pourvoyance est ce qui répond à l’attente du dépendant.
La dépendance est une relation contraignante, plus ou moins acceptée, avec un être, un objet, un groupe ou une institution, réels ou idéels, et qui relève de la satisfaction d’un besoin.
Le couple pourvoyance/dépendance est en réalité une relation trinitaire, qu’on peut définir selon le triangle ci dessous :
Le dépendant
(qui ?)
L’objet de la pourvoyance Le
pourvoyeur
(de quoi ?) (de qui)
Le portrait du dépendant est évidemment changeant.
Dépendant et pourvoyeur forment un duo : tel père, tel fils. Pourvoyeur de dépendant sont interactifs : l’un modèle l’autre et réciproquement.
32 « La dépendance est une relation contraignante, plus ou moins acceptée, avec un être, un objet, un groupe ou une institution, réels ou idéels, et qui relève de la satisfaction d’un besoin. »
I
– Le dépendant et son pourvoyeur
Fil directeur de cette première partie : montrer l’étroite interdépendance du pourvoyeur et du dépendant ; montrer qu’à partir d’un modèle archaïque de relation (la mère à l’enfant) la dépendance s’étend à d’autres objets, dont le statut particulier s’efface rapidement pour laisser place à « un objet x », écran de projection d’un besoin (désir). Cet objet est tout au long de la progression de ce chapitre de moins en moins un objet réel, mais un objet rêvé.
39 Le modèle initial : la
mère (conditionnel)
Mais (41) : « nous existons en fonction des autres »
Les grandes images de la croyance (auprès de Dieu) sont des idéalisations de ce besoin de l’autre, des « lieutenants » que nous élisons en cas de carence de l’autre.
42 La dépendance réciproque
La société comme réseau de dépendances réciproques
44 Modèle animal : interdépendance homme animal : initialement un intérêt commun exemple de l’homme et du cheval.
Cependant cette dépendance de l’animal est « à la fois proche et différente de celle qui relie l’enfant à ses géniteurs. L’animal est un adulte, qui ne meurt pas nécessairement s’il est abandonné : l’identification est malgré tout moins poussée. D’un autre côté, les manifestations de dépendance et de pourvoyance animales sont différentes de celles d’un adulte humain à cause du langage et de la qualité particulière de la socialisation. » 45
La dépendance à l’objet :
« tout se passe comme s’il existait une dépendance flottante qui se fixe sur un support plus ou moins inter changeable ». (46) Ce support peut être un être vivant, humain ou animal ; il peut être un objet inanimé. (point de synthèse)
Quelque soit l’objet de la dépendance, la satisfaction s’installe dans un rituel (p 48)
« le rituel est en tout cas, un exorcisme permanent contre une angoisse ou une éventuelle mence extérieure » Le rituel est aussi un pratique collective, renvoyant à une communauté de valeurs idéologiques.
49 définition l’objet de la pourvoyance
« Finalement est objet de pourvoyance tout ce qui permet de répondre à une dépendance : un être, un objet proprement dit, une représentation ou une activité » (49)
Toute dépendance est ambiguë : à la fois victime et complices de la dépendance (50) Ainsi peut-on passer d’une pourvoyance à une autre
Dépendances aux groupes
Il existe même des pourvoyances et de dépendances collectives (p51)
Même pour ces entités collectives, le lien au schéma primitif enfant /mère peut être retrouvé
Le groupe n’est pas un simple
rassemblement d’hommes et de femmes « c’est que le groupe est plus que le groupe. Il est institution et
réseau d’institutions qui soutiennent et protègent la vie de ses membres. Il
est porteur des valeurs communes, qui orientent et balisent leurs conduites. »
« p 53) « c’est le dépendant qui confirme le pourvoyeur dans ses différentes figures. »
La dépendance aux valeurs
La dépendance au groupe, aux institutions et aux valeurs sont liées.
« Etre dépendant d’un groupe, c’est toujours, en quelque mesure, tenir à ses institutions à à ses valeurs ; lesquelles viennent, en retour, fournir une justification et une caution à cette dépendance. »
Réalité et idéalité du pourvoyeur (55)
Dépendance aux objets symboliques : « le pourvoyeur est toujours plus ou moins idéel »
« J’entends par idéel, ce qui est construit ou imaginé par l’esprit » (cf. la distinction objet réel/objet rêvé) –Freud-)(56)
La dépendance au chef est tout autant la « dépendance à un modèle, autant qu’une personne réelle » (56)
L’expérience cruciale de Proust (p.56): lorsque l’objet rêvé disparaît –objectivation de l’objet rêvé-) « Pourquoi est on dépendant : on peut répondre déjà : parce qu’on le croit : le dépendant est celui qui croit en l’efficacité du pourvoyeur. » (Rôle du désir dans l’élection de l’objet rêvé : c’est le désir qui le constitue comme objet)
Le pourvoyeur imaginaire
C’est du côté du dépendant qu’il faut chercher la réalité du pourvoyeur ou de l’objet de la dépendance « c’est l’attente du dépendant qui fonde la croyance en la réalité du pourvoyeur. Si le dépendant voyait clai’rement le caractère fictionnel du pourvoyeur, il cesserait de compter sur lui, il lui faudrait trouver un autre pourvoyeur ou cesser d’être dépendant ». Le pourvoyeur est le produit d’un fantasme : c’est ce qui fait que le dépendant est souvent exclusif « hors de l’église, point de salut ». (homéopathie) 60
Le messianisme
Le mythe du sauveur : le besoin de croire en un être salvateur. le Christ ou le prince charmant. D’où l’intransigeance des zélateurs. (61)
« toute sa vie durant, enfin, l’homme recherche de l’aide dans les élaboration de son propre esprit ou dans les contributions de certains esprits plus féconds. Car l’imaginaire est l’un des recours contre l’angoisse, et certes l’un des mieux appropriés, puisqu’il est suscité selon les nécessités de chaque angoisse particulière : on s’invente ou on recherche l’histoire qui convient à la détresse présente. » (62)
L’unique et le substitut
Ambivalence et caractère contradictoire du pourvoyeur : il est à l a fois caractérisé par son unicité et son caractère substitutif. La dépendance peut changer d’objet. Définition de la culture : la culture comme « l’ensemble plus ou moins cohérent, des réponses d’un groupe à ses conditions d’existence » C’est un ensemble changeant. L’identité est à la fois constance et transformation (64)
De même pour les individus : déplacement des objets de désir exemple de l’enfant
« le pourvoyeur est unique dans l’instant, interchangeable dans la durée » (65)
Le tout ou rien
Loi du tout ou rien opposition Lamartine et Giraudoux
« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé » « un seul être vous manque et tout est repeuplé ».
65
Lecture de :
Albert Memmi, le dépendant et le pourvoyeur,
in « La
dépendance » pp 85-89
Position initiale du
problème : le tragique
§1 Tragique de la dépendance pourvoyeur dépendant : le bonheur vient de l’autre, mais si l’autre y manque, nous souhaiterions le tuer
A/La vocation du pourvoyeur
§2 Pourquoi devient-on pourvoyeur ? Parce qu’on ne peut faire autrement.
§3 Vous êtes créés par le besoin que l’autre a de vous et vous ne pouvez vous y dérober
§4 On ne peut échapper à la pourvoyance parce que la société peut vous y contraindre.
§5 Mais la véritable raison, c’est que le pourvoyeur l’est pourvoyeur volontairement : il y trouve un bénéfice : le pourvoyeur n’est pas seulement contraint : il consent. Il consent parce qu’il trouve un profit à la pourvoyance.
B/Le couple
phagocyteur/phagocyté
§5 On distinguera la dépendance parasitaire, qui est ne dure jamais longtemps, de la dépendance symbiotique (réciproque) qui est toujours plus ou moins larvée dans toute dépendance. Ainsi la relation parents (pourvoyeurs)/enfants : les parents manifestent aussi un besoin d’enfant. Si l’on est sincère on s’apercevra que le don pur et désintéressé n’existe pas. Ce constat ne doit pas nous étonner : toute relation humaine est fondée sur l’échange.
§6 On en vient à se demander qui est le plus dépendant, du demandeur ou du pourvoyeur ? Car le pourvoyeur a besoin du besoin de l’autre. Mais si le dépendant prend ombrage de ce qu’il ressent comme de l’égoïsme de la part du pourvoyeur, ce dernier aura tendance à ne pas vouloir répondre aux exigences de son double tyrannique.
C/ La tentation du pourvoyeur
absolu
§7 La dépendance ne peut-elle alors apporter le bonheur ? Pour qu’une dépendance s’installe dans une jouissance totale, cela supposerait qu’elle soit aussi absolue. Or le pourvoyeur, même le mieux intentionné, demande tout de même de se réserver un espace de vie qui lui soit propre, ils ne veulent pas du cannibalisme des dépendants. Il oscille ainsi entre la culpabilité de ne pas en faire assez, quand il résiste au dépendant, et le refus de se laisser manger tout cru par lui.
§8 C’est parce que cette contradiction est insupportable qu’on s’en remet souvent à un pourvoyeur absolu, un dieu ou une cause transcendante, qui ne saurait nous décevoir. Mais même l’idéal nous déçoit parfois : on conçoit du ressentiment contre le Dieu qui, disent certains, nous a déçus ;d’autre encore lui trouveront des excuses ; d’autres enfin le châtieront. Mais ne serait-il pas plus simple de renoncer au fantasme du Grand Pourvoyeur ?
Proposition de corrigé
Le couple dépendant/pourvoyeur
se déchire tragiquement : l’autre est à la fois aimé et détesté.
On pourrait estimer que le
pourvoyeur ne peut faire autrement : il répondrait nécessairement au
besoin de l’autre, soit par pitié, soit par obligation sociale. Mais en fait,
on entre en pourvoyance volontairement, parce qu’/on y trouve un bénéfice.
La dépendance à sens unique ne
dure jamais longtemps : elle est généralement réciproque comme le montre
la relation parent/enfant. A la demande des uns correspond le désir d’enfant
des autres. Le don pur n’existe pas, toute relation est fondée sur l’échange/.
Le pourvoyeur a besoin de l’autre. Et si le dépendant lui reproche son égoïsme,
il lésinera à répondre aux exigences de ce double tyrannique.
Seule une pourvoyance sans
faille pourrait apporter une jouissance totale. Or tout pourvoyeur, même le
plus attentionné, veut échapper à l’appétit de l’autre./ Il oscille ainsi entre
la culpabilité et le refus d’être cannibalisé. Cette aporie dans laquelle
s’enlise la relation fait qu’on s’en remet alors à un pourvoyeur idéel qui ne
saurait faillir. Mais Dieu déçoit parfois : le zélateur est alors partagé
entre excuse et blasphème. La sagesse ne serait-/elle pas de
renoncer au fantasme du Grand Pourvoyeur ? 210
II
- le dépendant et la dépendance.
Contrainte et aveu de
faiblesse
93 La dépendance est un aveu de faiblesse : le dépendant ne se suffit pas à lui même, il veut qu’on l’aime, il est en manque de l’autre. En même temps, il est centré sur lui même et sur son plaisir : l’autre l’intéresse surtout parce qu’il est source de satisfactions. Aux yeux de la société, sa position est plus ambiguë : la société tolère la dépendance, mais prétend en régir les excès ; d’autres vont l’interdire, comme les églises. Au demeurant le dépendant demande souvent de lui même des garde fous : il requiert l’aide de l’autre pour « décrocher ».
Le plaisir
96 Le plaisir : le dépendant n’est pas seulement contraint : il jouit aussi de l’objet de sa dépendance. Il n’y a donc pas seulement manque, mais aussi plaisir. D’ailleurs ce plaisir est reconnu par la société elle-même d’autant plus quand il est convivial
En fait c’est la part égoïste du plaisir que la société condamne : l’alcool est toléré au sein d’un rituel social, honnie entant que pratique solitaire de la beuverie. Il en va de même pour le plaisir sexuel. Tout ce qui va dans le sens d’une communion sociale est prisé, mais ce qui va dans le sens d’un « plaisir solitaire » est banni. « c’est une part de l’individu qui échappe au groupe » « Le plaisir conjugal, baptisé devoir, il est vrai, est béni par les religions et légalisé par les institutions laïques : c’est qu’il renforce la cohésion de la vie sociale ; grâce à la procréation, il augmente l’étendue de la vie sociale, assure la puissance de la nation sans compter la fermeté de ses mœurs. Les jouissances qualifiées de nobles, celles procurées par les arts, musique peinture ou littérature, sont louées parce qu’elles se prétendent différentes du plaisir vulgaire. » De même l’extase religieuse : contribution à l’affermissement de la religion.
99 plaisir premier (nutrition) et plaisir seconds (sucer son pouce), le baiser, Déplacement du plaisir de la satisfaction initiale (fin de l’état de tension, à un plaisir second, etc.. –la succion du pouce)
Le plaisir est donc une composante essentielle du processus de dépendance.
Le besoin
102 « La dépendance est toujours au service d’un besoin »
« Objet du livre : définir et situer la dépendance au regard de quelques conduites humaines fondamentales. »
Le nombre en apparence quasiment infini des objets de la jouissance ne doit pas nous tromper : ce ne sont que les avatars d’un nombre réduit de besoins fondamentaux.
Désirs et faux-besoins
L’homme « usine à rêves » Corrélation entre les désirs seconds et les besoins fondamentaux. Ainsi la télévision ou la radio ne dériveraient finalement que d’un besoin fondamental et dévié de relation à l’autre (107)
Le besoin fondamental est celui de la recherche d’une sécurité, à travers des rituels.
108 « le besoin est un état de tension interne inné ou acquis, qui exige une satisfaction spécifique, fût-elle substitutive. »
109 àux trois question
initiales : « qui est dépendant ? de qui ? et de
quoi ? on peut y ajouter une quatrième : a quel besoin cela
correspond ? »
Dépendance et physiologie
110 « les corrélations entre le psychologique et le physiologique sont étroites et évidentes ».
Dans le cas de psychotropes, la dépendance est liée à une modification du métabolisme : le corps en réclame plus.
En fait la dépendance a d’autant plus d’aisance à s’installer que notre cerveau lui même produit des substances chimiques analgésiques proche de ces drogues. L’accoutumance c’est le fait que le cerveau s’habitue à recevoir sa dose de substance, et en réclame toujours plus.
Dépendance et ambiguité
113 « Dans la dépendance, bonheur et malheur sont étroitement mêlés » : ambivalence de la dépendance qui est à la fois restriction de la liberté, et condition du bonheur
C’est à la drogue, non à sa toxicité que le drogué » est dépendant.
Cette ambivalence de la drogue se retrouve dans l’usage commun il y a de bonnes et de mauvaise drogues. Entre le remède et la drogue la limite est souvent ténue (114)
En fait cette recherche de l’absence de douleur ou de stimulations par l’intermédiaire de psychotropes est aussi vieille que l’humanité (115)
Le prix de la dépendance
La différence entre les différentes sortes de dépendance est dans le prix à payer : il n’est pas le même. (115)
Les conduites de dépendance témoignent souvent d’une médiation, il s’agit de composer avec le pourvoyeur, sans qu’on puisse dire pour autant que le dépendant se soumette. (camps de concentration) 117
Exemple de « portier de nuit » Ce n’est pas par perversion que la femme se soumet à son bourreau, mais pour avoir la vie sauve.
Le décolonisé en vient parfois à regretter sa position d’être dominé, car il en tirait aussi certains avantages (ordre)
Ce n’est pas la sujétion que regrettent les ex-dominés, mais la dépendance : elle leur assurait la tranquillité.
Le prix de la dépendance peut être illimité. En fait ce qui nous gêne dans les exemples sus visés, c’est que le dépendant puisse prendre plaisir à sa dépendance, jusqu’à accompagner son bourreau dans la mort. 120
Assentiment et ressentiment
Il paraît invraisemblable au non dépendant qu’on puisse à la fois souffrir de et consentir à la dépendance. Dans la relation homme femme, il n’y a pas que de la sujétion : il y a recherche de la gratification. (121)
Le pourvoyeur peut imposer sa loi au dépendant : de là l’extrême tension de leurs rapports.
Exemple des relations malade médecin 123
On y retrouve la même dualité que celle constatées ci dessus : « la puissance du médecin repose sur la fragilité du malade ; et il n’est même pas sur que l’autorité du médecin ne soit pas souhaitée par la plupart des patients »124
« Inévitablement liée au besoin, signe de manque et de satisfaction, provoquant reconnaissance et ressentiment, la dépendance, comme Janus, a double visage. » (Janus) 125
Les ruptures de
pourvoyance :
- les
ruptures réelles
La vie de l’humanité, et celle de tout individu, est jalonnée de ruptures 125
La menace de la rupture devient un moyen de pression sur l’autre 128
« puisque l’individu se construit dans un réseau serré de relations avec autrui, leur destruction risque de porter atteinte à sa personnalité même. »
Exemple le départ en retraite.
« Personne n’accepte sans malaise la rupture de la quotidienneté. »
- Les
ruptures imaginaires
Excommunication, exil, mythe de la genèse et de la chute originelle. « J’ai été coupé ». Vérité psychologique, certes mais aussi vérité mythologiquequi concerne l’humanité toute entière. 133
La jalousie amoureuse ou la
peur de perdre
Distinction entre l’envie, et la jalousie. Elle n’est pas ressentiment par rapport au nanti, elle est le « drame de la séparation virtuelle ». Elle se situe du côté del’imaginaire et peur conduire à la destruction de l’aimé. 135
136 : de la jalousie comme peur de perdre « Le dépendant détruit son pourvoyeur par peur de vivre sans lui. Ou se détruire. Mais le processus est imaginaire comme le montre bien le meurtre de Desdémone par Othello.
La jalousie est un doute imaginaire : Desdémone est fidèle mais ce qui effraie Othello c’est la perspective d’une fin de la relation dépendant-pourvoyeur.137
La peur rétrospective ou la
déception amoureuse
La panique est celle de découvrir que l’objet aimé, ou le pourvoyeur, n’est pas à la hauteur de ses désirs : l’objet était imaginaire. Il est donc logique de tuer celui qui a deçu, et il est encore plus logique de se tuer : puisqu’on est à l’origine de ce rêve de l’autre comme pourvoyeur.
(Hitler « l’Allemagne ne me méritait pas ?)139
Le scandale ou la peur du vide
Concept intermédiaire : le scandale définition page 139 « le scandale est le bouleversement provoqué par une menace sur la normalité »
Le blasphème n’est pas dangereux pour la foi, ni pour l’église, il est dangereux pour le croyant lui-même qui y voit menacé son système de régulation de l’angoisse. Il y a risque d’atteinte à la pourvoyance absolue. « C’est lui retirer sa béquille »
144 le scandale en soi : est scandaleux ; tout ce qui peut ébranler la pourvoyance (habitudes alimentaires p 145)
Les machines de survie(143)
Apprendre à aménager la pourvoyance et la rupture : de là les rituels d’intégration, et les rituels de passage, qui peuvent coïncider..
P 150 « de manière
générale : les « machines de survie »
Le fanatisme
Le fanatique défend sa machine de survie par une réaction excessive qui ne s’explique autrement que par l’enjeu
P 156 la dépendance à une règle
Dépendance de la raison (157) « pas de liberté pour les ennemis de la liberté »
La symbolique des peuples
victorieux (séparation de l’église et de l’état)
Les rituels de rupture :
l’exorcisme
Exorcisme comme méthode de libération : le diable et l’hystérie.
« Là ou ça était, je dois
devenir » (Freud)
Les rites de passage.
L’initiation
III
– Du bon usage de la dépendance.
La dépendance comme structure de
la vie sociale : la question n’est pas pourquoi être dépendant, mais
comment l’être si l’on admet que la dépendance est une fonction nécessaire au
sein des sociétés
Lecture de :
Albert Memmi, De quelques dernières leçons de la dépendance,
in « La
dépendance » pp 194-99
A/La dépendance : un
concept éclairant pour comprendre notre condition et notre culture. La dépendance comme faiblesse et comme force :
errance inquiétude et progrès.
§1 : Quelque soit le domaine que l’on envisage, la thématique de la dépendance est un bon outil d’analyse, même si l’on peut estimer que ni la politique, ni l’art, ni la religion ne se réduisent à un jeu d’interdépendances.
§2 : La dépendance est un mode d’être inhérent à la condition humaine : on est toujours dépendant de ce qui n’est pas nous, pour notre existence. Bien sûr on peut rêver de se suffire à soi-même : mais dans les faits, la dépendance et la pourvoyance s’imposent comme des nécessités.
§3 : Ce caractère insatiable de nos dépendances font que nous ne sommes jamais satisfaits et que l’espèce humaine soit caractérisée par son errance : c’est l’explication de la diaspora humaine tant sur le plan géographique que spirituel. C’est notre faiblesse et le moteur de notre puissance.
B/ Comment préparer les êtres
humains à la dépendance et aux ruptures qui en découlent ?
§4 : Nous devons nous résoudre à ce caractère indépassable de la dépendance. Il faut donc préparer l’être humain à affronter ruptures et dépendance : apprendre à supporter la solitude, à donner pour recevoir, et nous préparer tous aux diverses ruptures qui jalonneront notre vie
§5 : La dépendance n’est pas une maladie mais un état de fait ; en revanche il existe une souffrance liée à la dépendance. Elle doit donc pouvoir être soulagée. Pourquoi ce Donjuanisme généralisé ? Pourquoi cette volonté du « retour aux sources » ? Pourquoi cette peur de l’autre ? Pour cela, rétablissons les réseau de solidarité au sein de la société : les idées, les hommes et les objets doivent pouvoir s’échanger et s’il est légitime de se protéger de la barbarie, en revanche, nous devons cultiver notre solidarité.
C/ Des limites de notre
approches de la dépendance
§6 : En tenant compte de ces connaissances sur la dépendance, on pourrait, au mieux, espérer établir une sorte de modus vivendi pragmatique : en comprenant bien la dépendance, on cesserait de la considérer comme le schéma de base des comportements humains. Il faudrait militer pour une gestion de la pourvoyance comme moyen de limiter la violence entre les hommes
§7 Même si l’on ne peut tarir la source de l’angoisse, celle du manque de l’autre comme celle de la mort, on peut au moins tenter de la mettre à distance, en organisant la pourvoyance.
§8 Il convient cependant de renoncer à la tentation de construire un système : la leçon c’est que nous sommes des êtres au monde,et nous y sommes avec et pour les autres.
Proposition de corrigé :
2/Version longue :
Même si la politique, l’art,
la religion, ne pourraient être réduits à un jeu d’interdépendances, le concept
de dépendance possède une vertu éclairante sur notre condition et notre
culture. Car elle est le mode d’être ordinaire des humains ; si nous
rêvons parfois de nous suffire à nous-mêmes, /50 le couple dépendance/pourvoyance s’impose
comme une dimension nécessaire, signe de notre faiblesse, de notre
insatisfaction et de notre errance, spatiale et spirituelle, mais aussi
condition de notre perfectibilité.
Si nous ne pouvons rien contre
cette situation de dépendance, et l’angoisse des ruptures qui en découlent, au
moins/100 pouvons nous agir
pour en limiter les affects négatifs : la dépendance n’est pas une
maladie, mais une nécessité, cela ne veut pas dire que nous ne puissions lutter
contre les souffrances qui en découlent. Nous pourrions nous préparer dès
l’enfance à supporter la solitude, à donner pour recevoir, /150 et à accepter les diverses ruptures qui
jalonneront notre vie. Loin de se laisser aller aux démons de la tradition, du
repliement sur soi même et de la xénophobie, rétablissons les réseaux
d’échanges et de solidarité au sein de la société.
Il ne faut pas tenter l’impossible :
nous /200 pouvons au mieux créer une morale pragmatique fondée sur
une connaissance de la dépendance. Nous pourrions ainsi cesser de voir dans la
dominance et la violence des maux inéluctables pour penser le couple
dépendance/pourvoyance comme l’archétype de nos comportements. Loin d’en
appeler à la prétention/ 250
d’un système philosophique tirons
humblement la leçon de la dépendance : nous sommes condamnés à vivre
ensemble dans un même monde/ 271
Soit 71 mots de trop !
2/Version courte :
Même si politique, art,
religion, ne pourraient être réduits à un jeu d’interdépendances, ce concept
nous éclaire sur notre condition, et préfigure une possible morale pratique. Il
est le mode d’être ordinaire des humains ; si nous rêvons parfois de
d’autosuffisance, le couple dépendance/pourvoyance s’impose comme une
nécessité, signe/50 de faiblesse, d’insatisfaction et d’errance,
spatiale et spirituelle, mais aussi condition de notre perfectibilité.
Dépendance et manque sont des
faits, nous pouvons néanmoins agir pour en limiter les affects. La dépendance n’est pas une maladie, mais une
nécessité, parfois anxiogène.
Préparons-nous dès/100
l’enfance à supporter la solitude, à donner pour recevoir, et à accepter
les diverses ruptures existentielles. Au lieu de nous replier sur nous-mêmes,
rétablissons les réseaux d’échanges et de solidarité sociale.
Nous pouvons, au mieux, créer
une morale pragmatique fondée sur une connaissance de la dépendance. Nous /150 cesserions de considérer la dominance et la
violence comme des maux inéluctables pour penser le couple
dépendance/pourvoyance comme l’archétype de nos comportements. Sans prétendre
bâtir./ 250 un système
philosophique tirons-en humblement la leçon : nous sommes condamnés à
vivre ensemble dans un même monde.
/195 mots.
M. Le Guen 04-2006