Philo'n netL’INCONSCIENT

 

Etymologiquement, le concept d'inconscient désigne ce qui n‘est pas conscient. Dans cet usage général, nous pouvons établir les distinctions suivantes :

 

- Les faits non-conscients :

Les automatismes neurophysiologiques dont la plupart sont innés, tels que la respiration, les battements du cœur, la digestion.

Les actes réflexes tels que l'accoutumance visuelle le mouvement des paupières, le réflexe de la tétée chez le nourrisson etc..

Les automatismes sensori-moteurs, innés ou acquis tels que la marche, l'équilibre, les mouvements des bras et des mains, etc.

Ces faits ne présentent pour la réflexion philosophique que peu d'intérêt : ils relèvent du corps et ne sont en rien différents de ceux que nous pouvons observer chez les animaux.

 

- Les faits pré-conscients

Ce sont les faits qui sont momentanément non conscients, mais susceptibles de devenir conscients. Au premier chef nous pouvons citer le langage, dont les structures ne sont pas conscientes même dans la parole, mais qui sont susceptibles de le devenir quand, par exemple, nous butons sur une difficulté linguistique. On peut citer aussi la mémoire : nos souvenirs ne nous affectent pas tous en même temps et attendent une orientation active de notre attention pour devenir conscients ; sur le même modèle, on pourrait également citer la perception et en particulier "l'étroitesse du champ perceptif" dont parle William  James[1]

Ces faits relèvent de l'activité intentionnelle de la conscience et ne constituent donc pas notre sujet ici.

 

- Les faits inconscients proprement dits

Nous proposons de restreindre le concept à ces seuls faits. Nous appellerons donc inconscient l'ensemble des perturbations de l'activité consciente ; ces faits échappent à la prévision, au contrôle et  volonté du sujet conscient. On citera :

     - Les symptômes névrotiques

     - Les comportements compulsifs ("T. O. C."[2])

     - Les actes manqués (lapsus, oublis involontaires, pertes ou bris involontaires d'objets)

     - Les rêves

     - les mécanismes du souvenir et de l'oubli

     - L'origine de nos fantasmes

 

 


INTRODUCTION : Préhistoire du concept.

 

Le concept d'inconscient apparaît très tardivement dans la langue[3] : il n'appartient pas à la tradition philosophique sauf, peut-être l’intuition particulière  qu'en a Leibniz[4] à l’époque moderne.

Mais si le concept n'apparaît qu'à la fin du XIXe siècle dans le sens où nous l'entendons, il est bien évident que les faits psychiques qu'il désigne existent depuis l'aube de l'humanité. Cependant ils ont été perçus très différemment au long des siècles. On peut distinguer sommairement trois étapes :

 

            - Les sociétés traditionnelles à dominante mythologique ou religieuse

Dans ces sociétés, les faits inconscients sont pensés comme ayant un sens. Par exemple; le rêve est considéré comme prémonitoire, comme annonçant des événements futurs : on peut citer dans la Bible, le rêve du Pharaon (7 vaches grasses et 7vachez maigres) qu'interprète le prophète Joseph (7 années de prospérité,7 années de disette) ou celui du Pyrrhus, qui, sur le point de lever le  siège de Tyr, voit en songe que la ville va se rendre ; il sursoit à la décision de lever le siège, et le lendemain, la ville se rend. Les actes manqués seront eux-aussi pensés comme des présages, bons ou mauvais. La folie enfin, ou plus largement le dérèglement mental sera tantôt considéré comme un signe des Dieux, tantôt, comme au moyen âge considéré comme un signe de possession démoniaque : nombre de malades ont dû, à cette époque, finir leur vie sur un bûcher...

 

            - La modernité

Cette nouvelle période de la culture occidentale est caractérisée par les triomphes de la raisons. Descartes va poser la conscience comme une certitude, comme la seule que nous puissions engendrer de nous-mêmes. Or les faits inconscients sont précisément des démentis de cette conscience. Celle-ci vise l'unité : il n'y a donc pas de place, dans une philosophie de la conscience pour ce qui la contredit. Aussi les faits inconscients, tels le rêve, vont cesser d'être un sujet de réflexion intéressant pour la philosophie et les sciences. On en fait des ratés de la conscience, et la marque de notre finitude : nous ne sommes pas de purs esprits : nous avons un corps. Descartes développera une conception mécaniste de ces rêves : ils ne seraient que des productions du corps, provenant de l'agitation des "esprits animaux" en l'absence du "pilote", la conscience. Ils seraient dépourvus de sens et donc d'intérêt pour la science. Dans le même temps, la folie sera jugée : comme un trouble à l'ordre social, comme une négation de cet ordre rationnel du droit qui tente de se mettre en place avec les lumières. Le fou sera donc traité comme un criminel et enfermé comme tel (ancien régime) ou enfermé comme dangereux pour la société (création des hôpitaux généraux, asiles d'aliénés au XIXe siècle). D'autre part, le caractère "mental" ou "psychique" de la maladie n'est pas reconnu : en témoignent les divers "traitements" imaginés au XIXe siècle pour "guérir" les fous[5], tous agissent sur le corps. En témoigne aussi que ces maladies sont dites "nerveuses" : on pense donc que leur cause est un dysfonctionnement du corps, non de l'esprit.

Dans cette période, la représentation dominante est une assimilation du psychisme au conscient :

 

Fait Psychique = Fait conscient

 

Il n'y a donc pas de place dans une telle représentation pour un inconscient : tout ce qui est psychique est conscient et ce qui n'est pas conscient est nécessairement corporel. Les dysfonctionnements de la conscience sont imputables au corps. C'est cette assimilation du psychique au conscient qui expliquera les réticences que les cartésiens, tels le philosophe Alain, formuleront à l'égard de la théorie psychanalytique.

           

- La psychanalyse (fin XIXe siècle, XXe siècle)

C'est dans le domaine de la médecine, et non dans la réflexion philosophique que va s'opérer une véritable "révolution" dans la conception que nous avons de la vie psychique, révolution comparable à bien des égards à celle que Copernic et Galilée avaient réalisée en leur temps[6]

Cependant, avant d’exposer l’histoire de cette technique thérapeutique et la genèse de cette théorie de l’inconscient, il convient de remarquer que deux auteurs vont avoir, en cette fin du XIXe  siècle  l’intuition  d’une réalité  psychique  inconsciente : l’un est un tout jeune poète,  J. A. Rimbaud, l’autre un. Philosophe, F. Nietzsche.

C'est faux de dire: Je pense. On devrait dire: On me pense. Pardon du jeu de mots.

JE est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu'ils ignorent tout à fait![7]

Le contexte de cette citation est celui d’une sorte de manifeste littéraire, initiateur d’une véritable révolution poétique. Dans ce texte Rimbaud s’en prend aux poètes romantiques en qui il ne voit que des « égoïstes » qui se croient poètes. La poésie romantique, de Chateaubriand à Musset ne lui semble être qu’une longue lamentation de l’Ego ; la nouvelle poésie a mieux à faire : elle se veut poésie des profondeurs, et le « poète doit se faire voyant », au risque de perdre son âme. Rimbaud a la géniale intuition d’un autre moi, souterrain, qui serait le véritable auteur de la pensée. Un autre qu’il faudrait cultiver pour faire venir sur le devant de la scène le « remuement intérieur »

 

 

[…] Ce dont nous avons conscience, que c’est peu de chose ! A combien d’erreur et de confusion ce peu de conscient nous mène.

C’est que la conscience n’est qu’un instrument ; et en égard à toutes les grandes choses qui s’opèrent dans l’inconscient, elle n’est, parmi les instruments, ni le plus nécessaire, ni le plus admirable, au contraire, il n’y a peut-être pas d’organe aussi mal développé, aucun qui travaille si mal de toutes les façons ; c’est en effet le dernier venu parmi les organes, un organe encore enfant. […]

Il nous faut donc renverser la hiérarchie : tout le « conscient » est d’importance secondaire ; du fait qu’il nous est plus proche, plus intime, ce n’est pas une raison, du moins pas une raison morale, pour l’estimer plus haut. Confondre la proximité avec l’importance, c’est là justement notre vieux préjugé.[8]

C’est la même intuition des insuffisances du moi que l’on retrouve ici chez Nietzsche. Le moi ne serait qu’un épiphénomène tardif, et le moins achevé des avatars de notre être. Du corps nous viendraient au contraire des forces puissantes, des désirs porteurs de notre volonté de puissance[9].

 

Mais si on ne peut parler, au travers de ces deux textes, d’une théorie de l’inconscient, ils témoignent cependant, par leurs intuitions, du fait que l’idée d’inconscient est déjà dans l’air du temps.

 

La révolution annoncée est d’importance : jusque là, si l’on compare notre vie psychique à une scène de théâtre, le moi y tenait tous les rôles, à la fois auteur, acteur, metteur en scène décorateur, souffleur, éclairagiste, machiniste et concierge du théâtre. Maintenant, le moi n’est plus qu’une marionnette dont d’invisibles manipulateurs tirent les ficelles, lui soufflent son rôle, l’éclairent etc… On devine que ce triomphe des machinistes, cette disqualification du moi n’ira pas sans peines et sans résistances, au pays du cogito.

 

1 – Approche historique : « l’invention[10] » de l’inconscient

 

Dans les années 1888, Freud s'installe à vienne comme spécialiste des maladies nerveuses/ Dans sa formation il avait eu l'occasion d'assister aux cours du professeur Charcot, à l'hôpital de la Salpetrière à Paris. Charcot utilisait l'hypnose pour provoquer l'apparition ou la disparition de symptômes chez des sujets hystériques. De retour à Vienne, il s'associe au docteur Joseph Breuer, qui utilise depuis quelque temps l'hypnose dans le traitement des troubles névrotiques.

Qui sont les malades dont s'occupent Freud et Breuer, et ce quoi souffrent-ils ? L'une des patiente souffre d'une part de troubles physiques, paralysie, perte de sensibilité, trouble du mouvement des yeux, et d'autre part de troubles du comportement : impossibilité de parler sa langue maternelle, hydrophobie. Or, ces malades qui présentent des symptômes aussi graves, dont on pourrait diagnostiquer une pathologie grave (lésion, tumeur, altération du système nerveux) sont, sur le plan physique, en bonne santé. Aux yeux de la médecine de cette seconde moitié du XIXe siècle, fière des succès récents de la médecine pasteurienne, ces malades sont de "mauvais malades', voire des simulateurs. On s'est habitué, en effet, dans cette nouvelle médecine, à lier cause et effets, agents infectieux et symptômes. Pas d'effet sans cause : ces malades démentent la nouvelle représentation déterministe du vivant.

 

 

 

 

 

1.1  – la méthode cathartique Freud et Breuer

Freud et Breuer ne peuvent se résoudre à laisser ces patients sans soins. Ayant remarqué que dans ses périodes de crise la malade prononçait des paroles incompréhensibles, Breuer et Freud on l'idée de les leur répéter sous hypnose. Ceci déclenche chez le malade un récit à vive tonalité affective. Le patient se réveille généralement en manifestant son émotion (colère, dégoût, chagrin, joie) et se trouve guéri provisoirement de ses symptômes.

Freud et Breuer appellent leur nouvelle pratique thérapeutique, la méthode cathartique[11]. Les patients auraient subi dans leur enfance un traumatisme face auquel il n'auraient pu réagir en libérant leur émotion. Cet affect (colère, rires, pleurs) n'avait pu se manifester alors principalement pour des raisons de conventions sociales. Cette énergie, ces affects coincés attendent une occasion de se manifester ; ils la trouvent au travers du symptôme névrotique.

Le récit sous hypnose libère cette énergie, et le symptôme disparaît.

Freud et Breuer sont alors conduits à une nouvelle représentation de la vie psychique, où la conscience n'est plus assimilable au psychisme :

 

Vie psychique

 

                   Etats hypnoïdes                          Etats conscients               

 

L'identité entre psychique et conscient doit faire place à une dualité : la conscience cesse d'être l'être l'unique mode d'être de l'activité mentale. Breuer et Freud distinguent entre les états hypnoïdes (manifestations de symptômes, récits sous hypnose)

Cependant, la collaboration entre Freud et Breuer va s'interrompre, et Freud va renoncer à l'hypnose, pour trois raisons :

- L'hypnose est difficile à réaliser et incertaine.

- La guérison n'est pas stable dans le temps

- L'hypnose crée un lien de sujétion entre le médecin et son patient.

- Enfin, le Docteur Berheim, de Nancy montre que l'on peut vaincre l'amnésie post-hypnotique ; les patients ne se souviennent pas de ce qu'ils ont fait ou dit sous hypnose, sauf si on les met sur la voie, ils arrivent alors à retrouver l'ensemble de leurs souvenirs.

 

Freud va par conséquent tenter une autre méthode : la technique des associations libres d'idées, la psychanalyse.

 

1.2  – La méthode psychanalytique

La technique tient en une phrase : association libre d'idées. La seule règle est l'exigence de sincérité : le patient doit délivrer les idées qui lui passent par la tête dans l'ordre de leur apparition, sans en omettre aucune même si elles lui semblent hors de propos, absurdes, vulgaires etc....

Au bout de quelques séances, le discours du patient s'organise, des thèmes récurrents apparaissent et donnent une cohérence au récit. Les symptômes disparaissent alors et ce, de manière définitive. Dans les années qui vont suivre, Freud va théoriser cette expérience thérapeutique dans deux schémas, deux topiques.

 


1.3 - Les topiques freudiennes

Le terme de topique, du grec topos, le lieu, signifie une représentation spatialisée d'une réalité quelconque par exemple :

 

                                               t

 

est une représentation du temps. On pourrait remplacer ce terme par "schéma" ou "diagramme". Freud va développer deux topiques, correspondant à deux étapes successives de la théorisation de la pratique analytique.

 

1.3.1       – Première topique  (<1922)

 

 

 

 

 

Socialisation des pulsions :

u Structuration

 

v Sublimation

 

w Refoulement

 

xSymptôme névrotique, rêve

 

Réalité sociale

 

 


interdits

 

 

                                                             x    Résistance

 

 

                                                                       Refoulement

 

            u         v               w

 

 

 

 

 

 

Pulsions

Réalité corporelle

 

 

 

 

Conscience

 

 

Préconscient

 

 

 

 

 

 

  Inconscient

 

Ce schéma donne une première représentation spatialisée de la vie psychique. La répartition en trois « zones » distinctes ne doivent pas nous abuser : il ne s’agit pas d’une quelconque localisation cérébrale de fonctions distinctes, mais d’une structuration de la vie psychique en « couches » successives, à la manière d’une fouille archéologique (cf. plus bas, p. la métaphore de la Troie mythique).

 

A la base de la vie psychique, on trouve des pulsions dont l’origine est corporelle. La pulsion n’est pas une pensée, c’est une force aveugle. Elle est libération dans le corps d’énergie dont la finalité est de mettre fin à un état de tension d’origine interne (ex : la faim) ou externe. La pulsion n’a donc qu’un but : le retour au degré zéro de l’excitation par une conduite appropriée. Mais si chez l’animal, les pulsions sont structurées par l’instinct, chez les êtres humains elles se manifestent originellement à l’état brut.  C’est l’éducation qui va socialiser ces pulsions originelles.

Car la société (pour le jeune enfant, les parents) pose ses propres exigences face à ces pulsions. Elle manifeste des interdits, qui ne sont pas essentiellement des commandements moraux ou sociaux, formulés dans le langage, mais plutôt des fins de non recevoir que la monde adulte oppose à la manifestation des besoins de l’enfant.

Ces interdits vont donc structurer les pulsions en leur assignant tout d’abord un modus operandi. Par exemple, progressivement, les manifestations de la faim, (ordre biologique) qui  vont devoir se plier au rythme des repas de la vie adulte (ordre social). Mais les pulsions peuvent aussi être sublimées, c’est à dire détournées de leur but premier. Par exemple, chez l’enfant, l’agressivité manifestée à l’égard des autres enfants, à l’école, sera sublimée par le jeu ou le sport : il reste la concurrence, on ôte l’hostilité. Mais certaines de ces pulsions peuvent  être en contradiction avec ce que la société peut accepter ; dans ce cas on dira de la pulsion qu’elle est refoulée, ce qui signifie qu’elle ne peut plus accéder à une représentation consciente ; mais cela ne veut pas dire pour autant qu’elle soit supprimée. Elle est plutôt pourrait-on dire, frappée d’amnésie, elle cesse de pouvoir être pensée. Par exemple, dans les luttes au sein d’une fratrie, on constate que des enfants passent sans transition d’une agressivité sans bornes vis à vis du petit frère ou de la petite sœur, à un amour éperdu. Cette brusque volte face est signe que la pulsion a été refoulée.

Le refoulement est donc une protection de l’unité psychique. Le jeune enfant ne peut assumer et choisir entre des nécessités contradictoires : s’il se sent en concurrence dans l’amour de sa mère avec un enfant plus jeune, il peut le manifester par des comportements d’agression ; mais ce choix le met aussi en péril dans l’amour maternel. Dans ce clivage[12] entre pulsion positive et pulsion destructrice, et faute de pouvoir assumer une contradiction qui le fait souffrir, l’enfant refoule la pulsion négative et privilégie la relation d’amour.

Mais cette protection étant un automatisme non-conscient,  on peut aussi considérer qu’il échappe au contrôle ultérieur, à l’âge adulte. La pulsion agressive motivée par une jalousie infantile continue à hanter le psychisme ; elle va investir les rêves du sujet, provoquer des actes manqués, ou pire, se manifester par un symptôme névrotique qui empoisonnera son existence consciente.

Trois remarques s’imposent à propos de cette première topique :

-         Le refoulement et la résistance sont les deux faces contradictoires d’un seul et même phénomène : d’un côté cela refoule, de l’autre côté cela résiste. Il est important de noter que le refoulement a d’abord été éprouvé par Freud dans la pratique analytique comme résistance ; c’est de ce constat empirique (ou si l’on veut pratique) qu’il induit l’hypothèse du refoulement. Ceci est d’une importance épistémologique considérable : la théorie de l’inconscient n’est pas une théorie spéculative, son histoire témoigne d’une origine empirique ou pour le moins pragmatique.

-         On remarquera avec intérêt l’évolution de l’adéquation vie psychique = vie consciente ou du dualisme états hypnoïdes/états conscients. Nous sommes maintenant en présence d’une tripartition entre trois entités psychiques : l’inconscient (ensemble des pulsions originelles et des pulsions refoulées), le pré-conscient (ensemble des faits psychiques provisoirement non-conscients, ou encore latents c’est à dire susceptibles de devenir conscients), la conscience, qui n’est plus que l’interface au monde, ce qui apparaît du bouillonnement intérieur face au monde. On peut parler d’une véritable disqualification du moi.

 

Vie psychique

 

         Inconscient                         Préconscient                      Conscience


1.3.2 – Seconde topique  (>1922) : Une représentation dynamique de la vie psychique

 

Pulsions originelles & Interdits intériorisés :

Automatisme inconscient du refoulement

 

 

 

ça[13]                        Surmoi[14]

        Pulsions       Interdits

                                               

 

 

Conscience Morale :

Election volontaire de valeurs par le sujet

 

 

Moi

Avant d’aborder cette seconde topique, une remarque préalable : il faut éviter de tenter de faire coïncider la première et la seconde topique. Elles se ressemblent formellement, puisqu’il s’agit dans les deux cas d’une division en trois entités, mais sur le fond,  ça, surmoi, moi ne recouvrent absolument pas la tripartition inconscient, préconscient, conscient. En effet, on peut estimer qu’une partie des pulsions (ça) accèdent à la conscience, comme une partie des interdits (surmoi), tandis que le moi possède lui aussi une part cachée.

C’est essentiellement par l’esprit que les deux topiques diffèrent.

-         Première différence : les interdits qui constituent le surmoi sont ici parties intégrantes du psychisme, qu’ils structurent. Ainsi cette intériorisation des interdits fait du surmoi une « seconde nature » qui s’oppose à ce qui est en moi « par nature », les pulsions du ça.

-         La conséquence de cette intériorisation c’est que le conflit entre ça et surmoi n’est plus vécue comme une contradiction entre les pulsions naturelles et les interdits sociaux extérieurs au sujet, mais comme une lutte entre une partie constitutive de mon être, le ça et une autre : le surmoi.

-         Enfin la barrière du refoulement cesse d’être un obstacle statique, mais une frontière dynamique. La délimitation entre ça et surmoi n’est pas stable, ce qui peut expliquer que, dans des circonstances particulières, (par exemple : guerres), les processus inhibiteurs du surmoi puissent ne plus jouer leur rôle modérateur. On peut alors  assister à une irruption du pulsionnel dans le conscient.

Nous dirons donc que la seconde topique est une représentation dynamique de la vie psychique. Elle nous montre mieux la réalité vivante de l’inconscient. Elle peut aussi permettre de comprendre qu’un même individu puisse ne pas répondre de manière identique dans des époques différentes de son histoire.

Nous remarquons aussi que, tout comme dans la première topique, la plupart de ces processus échappent au contrôle du sujet : il peut être perturbé par le conflit entre deux parties de lui-même, sans identifier les causes de son trouble. Le refoulement reste ici aussi un processus aveugle et à cause de cela, utile, mais dangereux.

C’est bien pour cela que le véritable problème moral doit pouvoir se poser au niveau des choix conscients, dans l’élection volontaire, consciente et donc libre de valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons. C’est ce qui conduira Freud à dire « Wo es war, soll ich verden[15] »

2 - Approche analytique de la théorie de l’inconscient : L’inconscient comme langage

 

L’inconscient est structuré comme un langage

Lacan

Nous proposons ci-dessous une lecture de la théorie de l’inconscient à la lumière de concepts que nous empruntons à la linguistique saussurienne, concepts dont on trouvera la définition et le développement dans le cours  sur le langage.

 

            2.1 – Signifiés  manifestes, signifiants et signifiés inconscients

 

Signifiés manifestes

(conscients)

Signifiants

(manières de dire)

D’un signifiant à l’autre : Associations d’idées,

La cure analytique

Signifié inconscient

Conflits

Ça/surmoi

Description clinique

 

Geste compulsif

Tendance perturbée

Contenu manifeste

 

 

« objet réel »

 

Contenu

notifié

 

Symptôme névrotique

                                   Sfiant0    Sfiant1 Sfiant2  Sfiant3                 Sfiantn

                                              

 

Compulsion                         

 

Actes manqués

 

Rêves

      Sfiant0    Sfiant1 Sfiant2  Sfiant3                              Sfiant n

 

Fantasmes

 

Discours conscient

 

 

 

 

 

 

 

Ça                Surmoi

 

G = cas général

 

2.1.1 - Lecture du tableau

La relation entre l’inconscient et la conscience n’est pas une simple relation de détermination, une relation de cause à effet : c’est une relation de signifié à signifiant. En effet, la psychanalyse considère les faits psychiques que nous avons regroupés sous le vocable de « faits inconscients », comme autant de manières de dire, de signifiants. Chacun de ces signifiants renvoie à un double signifié : signifié manifeste, ou conscient (colonne de gauche) et un signifié inconscient (colonne de droite). Ceci vaut, non seulement pour les faits pathologiques, comme les symptômes névrotiques ou compulsifs, mais également pour des faits qui perturbent la vie psychique du sujet « sain » (comme les actes manqués ou les rêves), aussi bien que pour les productions qui accèdent à la conscience, fantasmes ou discours ordinaire. Naturellement on peut estimer que le contenu inconscient est plus important dans le cas du symptôme que ce que la conscience peut en percevoir. Inversement, dans le discours conscient le contenu manifeste est sans doute la part la plus représentative du sens véhiculé, mais on ne peut totalement exclure que l’arrière fond inconscient agisse sur cette pensée qui se prétend pourtant si sûre d’elle-même. C’est le sens des deux signes «  < » et «  > » que nous avons tracés sur les colonnes de droite et de gauche.


Ainsi, le signifié manifeste du symptôme c’est sa description clinique, ce qui peut faire  l’objet d’une description. (exemples : paralysie, perte de sensibilité, hydrophobie, troubles de l’élocution, du mouvement des yeux etc…) Le signifié manifeste de l’acte manqué, c’est la tendance perturbée, c’est à dire l’erreur commise (exemples : le lapsus, la perte ou le bris d’objets, les oublis etc …). Le signifié manifeste du rêve, c’est le contenu manifeste, autrement dit ce que raconte le rêveur de son rêve au réveil. Le signifié manifeste du fantasme c’est le scénario imaginaire qu’il projette, ou l’objet dont il s’empare pour se signifier. Le contenu manifeste de la parole consciente c’est enfin le sens notifié, c’est à dire ce que nous voulons effectivement transmettre explicitement et rationnellement à autrui.

On pourrait presque dire que le signifié inconscient est le même pour toutes ces différentes manières de dire de notre vie psychique. Il renvoie directement ou indirectement au conflit du ça et du surmoi, et si les contenus peuvent changer, la forme reste la même.

 

                        2.1.2 – De la technique psychanalytique à la théorie de l’inconscient.

Comment pouvons nous, à partir de ce schéma, comprendre le mode de fonctionnement de la technique analytique et en induire une nouvelle compréhension de l’inconscient ?

Dans le tableau ci-dessus, nous avons représenté les associations d’idées comme un ensemble de substitutions successives de signifiants.

           

 

 

Sfiant.0         Sfiant1          Sfiant2                                                         Sfiant.3 et résolution

 

Appliquons ce schéma à l’analyse (partielle) d’un rêve, dans l’exemple ci-dessous, emprunté à Freud :

Donc, une dame encore jeune, mariée depuis plusieurs années, fait le rêve suivant: elle se trouve avec son mari au théâtre, une partie du parterre est complètement vide. Son mari lui raconte qu'Élise L. et son fiancé auraient éga­lement voulu venir au théâtre, mais ils n'ont pu trouver  que de mauvaises places (3 places pour 1 florin 50 kreuzer) qu'ils ne pouvaient pas accepter. Elle pense d'ailleurs que ce ne fut pas un grand malheur.

La première chose dont la rêveuse nous fait part à propos de son rêve montre que le prétexte de ce rêve se trouve déjà dans le contenu manifeste. Son mari lui a bel et bien raconté qu'Élise L. une amie ayant le même âge qu'elle, venait de se fiancer. Le rêve constitue donc une réaction à cette nouvelle. Nous savons déjà qu'il est facile dans beaucoup de cas de trouver le pré­texte du rêve dans les événements de la journée qui le précède et que les rêveurs indiquent sans difficulté cette filiation. Des renseignements du même genre nous sont fournis par la rêveuse pour d'autres éléments du rêve manifeste. D'où vient le détail concernant l'absence de spectateurs dans une partie du parterre ? Ce détail est une allusion à un événement réel de la semaine précédente. S'étant proposée d'assister à une certaine représentation, elle avait acheté les billets à l'avance, tellement à l'avance qu'elle avait été obligée de payer la location Lorsqu'elle arriva avec son mari au théâtre, elle s'aperçut qu'elle s'était hâtée à tort, car une partie du parterre était à peu près vide. Elle n'aurait rien perdu si elle avait acheté ses billets le jour même de la représentation. Son mari ne manqua d'ailleurs pas de la plaisanter au sujet de cette hâte.—Et d'où vient le détail concernant la somme de 1 fl. 50 kr.? Il a son origine dans un ensemble tout différent, n'ayant rien de commun avec le précédent, tout en constituant lui aussi, une allusion à une nouvelle qui date du jour avant précédé le rêve. Sa belle-sœur ayant reçu en cadeau de son mari la somme de 150 flo­rins, n'a eu (quelle bêtise) rien de plus pressé que de courir chez le bijoutier et d'échanger son argent contre un bijou. — Et quelle est l'origine du détail relatif au chiffre 3 (3 places) 7 Là‑dessus notre rêveuse ne sait rien nous dire, à moins que pour l'expliquer, on utilise le renseigneraient que la fiancée, Elise L..., est de 3 mois plus jeune  qu'elle, qui est mariée depuis dix ans déjà. Et comment expliquer l'absurdité qui consiste à prendre 3 billets pour deux personnes ? La rêveuse ne nous le dit pas et refuse d'ailleurs tout nouvel effort de mémoire, tout nouveau renseignement.[16]

 

Contenu manifeste du rêve (Sfiant.0)

Une dame encore jeune, mariée depuis plusieurs années, fait le rêve suivant: elle se trouve avec son mari au théâtre, une partie du parterre est complètement vide. Son mari lui raconte qu'Élise L. et son fiancé auraient éga­lement voulu venir au théâtre, mais ils n'ont pu trouver  que de mauvaises places (3 places pour 1 florin 50 kreuzer) qu'ils ne pouvaient pas accepter. Elle pense d'ailleurs que ce ne fut pas un grand malheur.

Associations d’idées

Sfiant.1

 

 

Sfiant.2

Sfiant.3

Sfiant.4

Son mari lui a bel et bien raconté qu’Élise L. une amie ayant le même âge qu’elle, venait de se fiancer.

S’étant proposée d’assister à une certaine représentation, elle avait acheté les billets à l’avance, tellement à l’avance qu’elle avait été obligée de payer la location Lorsqu’elle arriva avec son mari au théâtre, elle s’aperçut qu’elle s’était hâtée à tort, car une partie du parterre était à peu près vide. Elle n’aurait rien perdu si elle avait acheté ses billets le jour même de la représentation. Son mari ne manqua d’ailleurs pas de la plaisanter au sujet de cette hâte.

Sa belle-sœur ayant reçu en cadeau de son mari la somme de 150 flo­rins, n’a eu (quelle bêtise) rien de plus pressé que de courir chez le bijoutier et d’échanger son argent contre un bijou.

La fiancée, Elise L…, est de 3 mois plus jeune  qu’elle, qui est mariée depuis dix ans déjà.

Thèmes récurrents

Mariage

Temps

(enfin)

Mariage

Temps (trop vite)

Argent (Trop cher)

Mariage

Temps (trop vite)

Argent (Trop cher)

 

Mariage

Temps (Trop vite)

(déjà)

 

Si nous observons le contenu manifeste, deux indices nous indiquent qu’il s’agit d’une production onirique,  deux absurdités : ils n’ont pas trouvé de places et le parterre est vide, ils prennent trois places pour deux personnes. On remarquera aussi une dénégation, « Elle pense d'ailleurs que ce ne fut pas un grand malheur » qui est souvent l’indice d’une précaution oratoire destinée à se prémunir contre les conséquences d’une affirmation qu’on redoute, mais que l’on sait vraie.

 

On part du contenu manifeste, ou plus exactement des éléments de ce contenu (aller au théâtre,  apprendre le mariage de son amie, payer 1 florin cinquante kreuzer, prendre trois places pour deux personnes etc… On se garde bien de tenter une interprétation directe de ces éléments, la patiente étant invitée à associer sur ces éléments.

 

On observe alors, dans les trois signifiants de substitution qu’elle nous propose, la présence de trois thèmes récurrents. L’un qui parle du mariage, l’autre d’une relation au temps (se hâter à tort, le dernier enfin l’argent, ou plus exactement l’idée de payer trop cher. Ces signifiants de substitution sont redondants : tout se passe comme si le rêve « radotait », et répétait sans cesse la même idée obsédante.

Freud nous dit qu’après la quatrième association, la patiente refuse tout nouvel effort. En apparence la tentative aurait donc échoué. En fait l’interprétation est tout simplement réalisée : « Ce fut absurde de ma part de m’être tant hâtée de me marier. Je vois par l’exemple d’Elise que je n’aurais rien perdu à attendre»

On peut penser que cette pensée a traversé l’esprit de cette personne lorsque son mari lui a appris le mariage d’Elise. Mais c’est une idée qui a été immédiatement repoussée, soit qu’elle mettait en péril la situation affective de la rêveuse, soit encore qu’elle était incompatible avec ses exigences éthiques. Si elle refuse tout nouvel effort de mémoire, c’est qu’elle se sent menacée par une idée qui est sur le point de resurgir de son inconscient.

On remarquera enfin que le centre du contenu inconscient (se hâter à tort) est absent du contenu manifeste : il s’agit d’un des effets du déplacement, l’une des manifestations de la censure lors de l’élaboration du rêve[17].

Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas ici à proprement parler d’une interprétation, du moins dans un premier temps. Pour bien comprendre ce qui se passe, nous suggérons une analogie qui met en évidence des procédés analogues de substitutions de signifiants.

La pierre de Rosette

Il s’agit d’une stèle de basalte retrouvée à Rosette en Egypte lors de l’expédition française de 1799, et qui devait permettre à J. F. Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes.

 

 

 

 

Hiéroglyphes

 

 

 

 

Ecriture démotique

 

 

 

 

Ecriture grecque

EXTRAITS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le génie de Champollion est d’avoir repéré qu’il s’agissait là du même texte (identité du signifié) dans trois écritures différentes. Sur les trois écritures, deux lui étaient connues. Il a donc pu déchiffrer le texte le plus ancien.[18]


2.2 – Elaboration du rêve : rhétorique onirique et rhétorique de la langue

Le rêve est donc considéré, dans la théorie de l’inconscient, comme un véritable langage. C’est un langage qui porte la trace d’une censure, il est le reflet du combat Moi/Surmoi ; Nous voudrions signaler ici que le langage use de procédés identiques lorsque, voulant éviter un signifiant trop explicite, il déguise la réalité en usant de figures rhétoriques. Quelle est la rhétorique du rêve et quel est le lien qui l’unit à celle du discours ?

Si nous représentons fictivement deux ensembles, celui des éléments du contenu manifeste et celui des éléments du contenu latent :

 

Contenu manifeste

Conscient

 

Contenu latent

Inconscient

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

            : Synonymes

 

            : Homonymes

 

Ps. : on aura compris que les symboles du contenu manifeste sont choisis arbitrairement !

 

On remarque que le rêve est d’autant plus difficile à décrypter qu’il multiplie les synonymes et les homonymes. Quoi de plus éloigné, en apparence, du langage courant qui, lui, fonctionne au contraire sur une recherche de la plus grande précision possible dans la notification ?

Et cependant, nous devons bien constater que la parole n’est pas aussi « claire et distincte » qu’il y paraît. Dans le cours sur le langage, nous avons vu que parler, c’était d’une part respecter les règles de la grammaire et les significations du lexique, mais nous avons aussi établi que sous ces deux exigences théoriques, la rhétorique (figures de style, expression, etc.) entrait pour une bonne part dans la transmission du sens.

La poésie nous offre un exemple de dépassement de la langue : elle fait usage de métaphores, de figures de style, joue sur les ambiguïtés de sens, etc… Mais dans la langue ordinaire elle-même, le mot d’esprit (les « jeux de mots calembours et autres contre pétries) fait de même. Le discours ordinaire nous montrerait que bien souvent, nous usons de tels procédés pour éviter des signifiants, particulièrement dans les domaines où la surcharge affective du signifié (amour, sexualité, mort) rend nécessaire cet estompage.

Une femme dit qu’elle a perdu son mari : mais l’a-t-elle perdu ? Elle veut par là signifier qu’il est mort, mais l’expression métaphorique (perdre) lui permet d’éviter un mot, un signifiant qui fait peur. Le vocabulaire de la sexualité porte aussi la trace de cette fuite devant les mots, et pratique aussi allègrement que le rêve, la censure demi-voilée des manières de dire.

D’autre part, si nous nous penchons sur la «symbolique du rêve[19] », à l’intérieur d’une culture donnée, tel objet, telle scène se rapporte globalement toujours au même domaine de préoccupations. Ainsi, Freud constate que les armes sont généralement des symboles sexuels masculins, que le corps est souvent symbolisé par une maison etc… Ceci ne doit pas nous surprendre, car, on notera que cette symbolique du rêve n’est en rien distincte des métaphores de la langue. Sur le dernier exemple cité nous relevons au moins métaphores ayant trait à la maison dans le langage courant :

 

Être baraqué, bien bâti, bien charpenté, solide comme un roc,

Avoir des gencives de béton

Avoir un cœur de pierre, une santé de fer, être bâti à chaux et à sable

Etre demeuré, déménager, avoir une araignée au plafond

La cage thoracique, la charpente osseuse, la boite crânienne, cavité buccale

« Avoir du monde au balcon »

Rester de marbre.

Se faire un « ravalement de façade » (maquillage, « lifting »)

Se ruiner la santé

Etre décrépi

Onduler de la toiture (avoir les cheveux frisés, ou être fou)

Sortir de ses gonds, avoir un visage fermé

 

Enfin nous constatons aussi que le surmoi n’est pas simplement en nous comme un ensemble d’interdits inconscients. Il structure notre langage, fixe ce qui peut être dit et ce qui ne se dit pas. Une simple réflexion sur le vocabulaire employé pour représenter organes et fonctions de la zone génitale ou anale nous éclairera sur ce point. Toutes les autres parties du corps disposent dans la langue des registres courant, familier, infantile, médical, argotique etc… Mais pour la langue courante, le dessous du nombril et le haut des genoux est une terra incognita ; les seules expressions tolérées sont métaphoriques, ou emprunteront les niveaux de langue particuliers sus-cités. Ce n’est pas seulement l’inconscient qui est structuré comme un langage, mais la langue qui est structurée par l’inconscient.

 

Ainsi, il n’y a pas de solution de continuité entre l’inconscient et le langage. C’est ce qui nous permet de comprendre que l’analyse peut passer d’un registre de langage (symptomatique) à un autre (discours ordinaire). La flèche qui barre notre tableau page 9 n’a pas d’autre sens : il s’agit de trouver « des mots pour le dire[20]».

 

           


2.3 – Unité de la vie psychique : le psychique comme système signifiant.

L’inconscient est ce chapitre de mon histoire qui est marqué par un blanc ou occupé par un mensonge : c’est le chapitre censuré. Mais la vérité peut être retrouvée ; le plus souvent déjà elle est écrite ailleurs.

A savoir :

- Dans les monuments : et ceci est mon corps, c’est-à-dire le noyau hystérique de la névrose où le symptôme hystérique montre la structure d’un langage et se déchiffre comme une inscription qui, une fois recueillie, peut sans perte grave être détruite ;

- dans les documents d’archives : et ce sont les souvenirs de mon enfance, impénétrables aussi bien qu’eux, quand je n’en connais pas la provenance ;

- dans l’évolution sémantique : et ceci répond au stock et aux acceptions du vocabulaire qui m’est particulier, comme au style de ma vie et à mon caractère ;

- dans les traditions aussi, voire dans les légendes qui sous une forme héroïsée véhiculent mon histoire ;

- dans les traces, enfin, qu’en conservent, inévitablement  les distorsions, nécessités par le raccord du chapitre adultéré dans les chapitres qui l’encadrent, et dont mon exégèse rétablira le sens.

Jacques Lacan

Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse

In Ecrits, Paris, 1966, Le Seuil

 

Nous signalions plus haut une analogie possible entre archéologie et théorie de l’inconscient ; celle-ci n’est-elle qu’une archéologie de l’âme ? Il y a ici une erreur communément répandue[21] qui consiste à croire que c’est seulement en ramenant à la conscience des souvenirs oubliés qu’agirait la cure analytique. Certes des souvenirs refoulés peuvent bien revenir, mais le travail analytique consiste surtout :

-         A leur redonner le sens et la place qui convient dans la compréhension d’une histoire personnelle dont le sens et la cohérence échappaient au sujet

-         A apprendre au sujet à distinguer entre les souvenirs réels et les représentations fantasmées que nous en avons.

Un enfant vient au monde dans une histoire qui n’est pas la sienne et qu’il n’est pas en mesure de comprendre. Pour survivre, il va par l’imaginaire se construire une représentation fantasmée de son monde, de ses parents, de ses frères et sœur etc… Il a besoin de cet imaginaire, puisque ce n’est pas « en raison » qu’il peut comprendre son histoire.

Dans chaque histoire individuelle il y a du non dit, et il y a du mensonge familial. Tel un journal de guerre, notre mémoire a subi la censure. Selon les individus ou selon les familles, ce imbroglio est plus ou moins complexe, et la perception de la cohérence de notre être et de notre histoire plus ou moins facile.

L’archéologie de l’âme est ici une archéologie du sens. Pas plus que la science historique ne saurait se contenter de compiler des documents, d’archiver des parchemins, ou de conserver des monuments, la connaissance de soi ne peut se satisfaire des matériaux hétéroclites que nous livre notre mémoire, notre famille, notre langage. L’historien « instruit » les traces du passé en les replaçant dans le contexte qui porte leur sens. L’analyse reconstruit le sujet, en l’invitant à comprendre les messages obscurs que lui adresse son inconscient, pour que, une fois décryptés, il puisse les abandonner : le message compris, l’inscription  peut, comme le dit Lacan, être « sans perte grave être détruite.[22] » Mais si la vie psychique est un système signifiant, nous devons alors considérer la théorie qui en rend compte comme une herméneutique[23].

3 – Perspectives critiques : la théorie de l’inconscient est-elle une science ?

La théorie de l’inconscient comme toutes les grandes révolutions de la pensée a soulevé des réactions où les passions l’ont bien souvent emporté sur la raison. Les attaques sont venues à la fois du monde médical, de la philosophie des sciences et des philosophies morales.[24]

 

3.1 – Critiques organicistes ou localisationistes

Cette critique vient de la science médicale elle-même. Elle provient des neurophysiologiques qui ont l’habitude de traiter les phénomènes psychiques en termes d’interactions moléculaires ou d’échanges électriques au sein du système nerveux. 

Elle repose sur une pétition de principe « pas de fonction sans organe », formule dons l’évidence en dispute avec la naïveté. Ainsi, les neurologues localisent dans le cerveau les centres des diverses fonctions psychiques, de la sensibilité, du langage, ou de telle ou telle forme d’intelligence. Ils sont même capables d’intervenir chimiquement ou chirurgicalement sur ces mêmes zones pour réparer des troubles fonctionnels. La pathologie a ainsi permis de mettre en place une véritable « topographie » du cerveau.

Qu’en est-il alors de l’inconscient ? Certains neurophysiologiques[25] vont sommer les psychanalystes de localiser l’inconscient, d’en indiquer le substrat organique. Seule cette localisation permettrait, selon eux, de répondre à la question : l’inconscient existe-t-il ?

On pourrait faire remarquer à ces critiques que de nombreuses autres fonctions psychiques, dont on ne peut contester l’existence, ne renvoient  pas à une localisation cérébrale précise : c’est le cas de la mémoire en particulier, qui est présente comme une propriété de l’ensemble du système nerveux, chaque neurone ayant sa propre mémoire. D’autre part, la plasticité cérébrale fait qu’une fonction altérée par un traumatisme organique quelconque, peut, dans une certaine mesure, retrouver son usage par un déplacement sur un autre centre cérébral.

L’erreur des organicistes est de confondre topique psychique et topologie cérébrales. Certes les processus inconscients, tout comme ceux du langage ou de la mémoire ont très certainement un substrat organique. Certes on peut supposer, comme une hypothèse d’école plausible mais fort improbable, que la description fine de la « géographie » cérébrale nous permettra un jour de décrire les processus mentaux en termes de structures et d’interactions neurologiques. Mais un tel espoir est plus de l’ordre du fantasme que de la réalité des sciences.

Surtout, les organicistes développent une théorie de type mécaniste des processus mentaux. Ils méconnaissent la dimension psychique qu’ils n’envisagent que d’un point de vue somatique. Ignorer cette dimension reviendrait, toutes proportions gardées, à vouloir expliquer le fonctionnement d’un ordinateur en ne prenant en compte que la description du «hard ware » (la machine et ses périphériques) sans tenir compte du «soft ware» (les logiciels de système d’exploitation ou d’application, le langage de programmation). A partir de cette analogie on comprend mieux la nature de l’inconscient : elle n’est pas d’ordre matériel ou physiologique. L’inconscient est un « incorporel », au même titre que la structuration de la mémoire ou du langage qui est en nous. Pas plus qu’on ne rendrait compte de la fonction de langage en décrivant les processus neurologiques de la parole, en négligeant sa dimension « incorporelle » (la structure de la langue, grammaire et vocabulaire, qui sont des abstractions), on ne saurait rendre compte de l’inconscient en prétendant le réduire à un ensemble de processus physico-chimiques. Il est, si l’on veut, la couche la plus profonde du « programme d’exploitation » qui assure l’interface entre cette machine sensible qu’est le corps et le monde intelligible.

 

3.2 – Critique épistémologique[26]

Si la critique précédente n’était pas recevable, c’est parce qu’elle ne posait pas la bonne question : elle demandait « l’inconscient existe-t-il ? » là  où il aurait fallu demander : « la théorie de l’inconscient est-elle rationnelle ? »

Notons que la question est indépendante d’une interrogation sur la psychanalyse proprement dite. Il se pourrait que la pratique médicale « psychanalyse » soit efficace, sans que pour autant la théorisation qu’en ont fait leurs auteurs soit rationnelle.[27]

Nous nous proposons donc de soumettre la théorie de l’inconscient à l’épreuve de la grille d’analyse ci-dessous, que nous pourrions appliquer à n’importe quelle autre discipline à prétention scientifique. Il s’agira d’une part d’examiner si cet examen ne révèle pas une incompatibilité entre les exigences de la science et la théorie de l’inconscient et d’autre part de déterminer à quelles exigences spécifique cette théorie devrait se soumettre pour entrer dans le cercle des sciences.

Quelles sont donc les exigences de la connaissance rationnelle ?

Connaissance

Rationnelle

 

 

 

 


            Cohérence                                                    Objectivité                                   Falsifiabilité

 

 

 

 


               Interne                                           Externe

                                                                  (adéquation)

 

 

 


      Non                     Nécessité   &     Suffisance

Contradiction

 

La cohérence d’un système rationnel se décline en cohérence interne (du système avec lui- même) et cohérence externe (du système par rapport à son objet)

La non contradiction exige qu’on ne trouve pas dans un système donné une proposition et son contraire. Si on prend un système comme la géométrie Euclidienne, sur la base de postulats, axiomes et définitions, on doit pouvoir bâtir un système non contradictoire de théorèmes ; l’objection de lui opposer des contradictions par rapport à d’autres systèmes, la géométrie de Riemann par exemple, au seul prétexte qu’elles seraient contradictoires, ne tient pas : seule une contradiction interne au système ruine sa prétention à la rationalité.

F La théorie de l’inconscient satisfait-elle ce critère ?

D’une part les états successifs de la théorie (première, seconde topique) sont-ils l’aveu d’une faiblesse interne ? Non, car d’une part il s’agit bien là d’une progression nécessaire d’une science et donc de deux états successifs du savoir. D’autre part ces deux représentations ne sont pas incompatibles car elles envisagent la représentation de la vie psychique de deux points de vue différents : la première description est essentiellement descriptive et statique alors que la seconde introduit une dimension dynamique (mouvement).

Relevons aussi l’apparente contradiction interne d’un concept comme celui de « censure inconsciente » sur lequel nous reviendrons ci-dessous (cf. 3.3, critique philosophique et morale, 3.3.1, p.20)

 

Par nécessité nous entendons que l’hypothèse ou la proposition formulée ne peut pas ne pas être. Ce qui exclut bien évidemment les hypothèses arbitraires ou purement conventionnelles. La nécessité va de pair avec la suffisance qui exprime l’état de complétude d’un système de représentations rationnelles. Cela porte d’une part sur l’extension d’une loi rationnelle qui doit être capable d’englober tous les cas de même espèce, sans exclusion ; cela signifie aussi que l’hypothèse utilisée se suffit à elle-même et ne nécessitera pas pour être validée d’apports extérieurs non validés.

F Laissons sur ce point la parole à Freud :

On nous conteste de tous côtés le droit d’admettre un psychique inconscient et de travailler scientifiquement avec cette hypothèse. Nous pouvons répondre à cela que l’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime, et que nous possédons de multiples preuves de l’existence de l’inconscient. Elle est nécessaire, parce que les données de la conscience sont extrêmement lacunaires; aussi bien chez l’homme sain que chez le malade, il se produit fréquemment des actes psychiques qui, pour être expliqués, présupposent d’autres actes qui, eux, ne bénéficient pas du témoignage de la conscience.[28]

 

La cohérence externe exprime l’adéquation d’une théorie quelconque à ses objets ou à son domaine d’application. Dans les sciences de la nature par exemple, c’est à l’expérimentation que reviendra la tâche de vérifier que la loi rend bien compte du phénomène visé. Il va sans dire qu’en cas d’infirmation l’hypothèse formulée devra être abandonnée. Remarquons que parmi toutes les sciences, les mathématiques n’ont pas cette exigence de retour au réel : les êtres dont parle le mathématicien sont des êtres purement abstraits, non des entités du monde sensible.

F Rappelons ce que nous disions page 7 :

la théorie de l’inconscient n’est pas une théorie spéculative, son histoire témoigne d’une origine empirique ou pour le moins pragmatique. Ce qui signifie que l’état de la théorie freudienne ne tient ni à la génialité, ni aux lubies personnelles de son auteur, mais repose bien sur une pratique réelle. On pourra probablement trouver demain une représentation plus juste que celle proposée par Freud. On ne pourra cependant pas lui reprocher de  l’avoir inventée ex-nihilo.

Certes nous ne pouvons nous servir des succès de la thérapie analytique comme preuve du bien fondé de la théorie ; la pratique pourrait être bonne, et la théorie fausse.

Cependant seule la théorie de l’inconscient, telle que Freud et ses successeur l’ont élaborée permet de rendre compte de manière cohérente de l’ensemble de la vie psychique, et pas seulement de son versant conscient :

Tous ces actes conscients demeurent incohérents et incompréhen­sibles si nous nous obstinons à prétendre qu’il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d’actes psychiques ; mais ils s’ordonnent dans un ensemble dont on  peut montrer la cohérence, si nous interpolons les actes inconscients inférés28.

L’objectivité est une exigence éthique, déontologique pourrait-on dire de la connaissance scientifique. Elle est la volonté farouche de ne jamais mêler le sujet de la connaissance et l’objet de la connaissance en évitant en particulier que le premier projette des intentions subjectives sur le second. Dans l’histoire des sciences les exemples sont nombreux d’une rupture d’avec cette exigence, quand, par exemple, certains scientifiques prétendent avoir raison contre les faits. L’exigence d’objectivité prend un sens particulier dans le cas des sciences humaines à cause de la « proximité » existant entre l’objet de la connaissance et le sujet : l’historien qui étudie les époques passées est aussi l’homme d’une civilisation donnée, tout comme l’ethnologue. Ils doivent  donc se prémunir contre le danger de lire une culture à la lumière des concepts et des valeurs de leur propre monde.

F On peut considérer que, tant dans sa pratique thérapeutique, que dans la théorie de l’inconscient, Freud (et ceux qui, parmi ses successeurs furent fidèles à son éthique) a fait sienne l’exigence d’objectivité

Tout d’abord parce que la pratique psychanalytique se prémunit sans cesse contre les dérives de projection subjective du thérapeute sur son patient. En particulier si ce dernier projète sur lui, par le transfert une bonne partie des affects qui sont ravivés par l’analyse, le thérapeute, lui, lutte pied à pied pour s’interdire un contre-transfert : de là l’exigence du travail analytique sous contrôle d’une communauté de pairs ; delà aussi cette exigence d’un travail analytique sur soi comme préalable à toute pratique thérapeutique.

Il suffit par ailleurs de lire les écrits de Freud, pour se rendre compte qu’il se refuse, dans l’interprétation théorique des résultats, d’outre passer par des interprétations hasardeuse la simple compréhension des faits. Lorsqu’il est traversé par la tentation d’outre passer cette règle, il s’en fait lui-même le reproche par un « le mieux que nous ayons à faire est de nous en tenir là de nos spéculations »

Les écrits tardifs de Freud (L’avenir d’une illusion, Malaise dans la civilisation) ne démentent pas notre propos. Ils ne sont pas partie intégrante de la théorie de l’inconscient, mais des œuvres philosophiques dont la portée dépasse largement cette théorie : ce sont plutôt des prises de positions morales et métaphysiques d’un homme au soir de sa vie.

La falsifiabilité[29] : aucune connaissance rationnelle ne peut prétendre s’imposer comme un dogme éternel. Au contraire, toute loi scientifique doit être considérée comme valide une fois vérifiées les exigences précédentes de cohérence et d’objectivité. Mais la possibilité d’une critique ultérieure doit être maintenue : en droit, toute loi rationnelle peut être démentie par le cours ultérieur du développement de la connaissance.

F C’est sur ce point que la théorie de l’inconscient soulève les questions les plus complexes. En effet les successeurs de Freud, en particulier dans la psychanalyse anglo-saxonne ont voulu transformer la théorie de l’inconscient en un dogme-réponse-à-tout, une sorte de théorie universelle de l’esprit humain, présentée non comme valide, mais comme vraie. Ce passage d’une validité relative des connaissances à une vérité absolue est signe que la théorie quitte le domaine de la connaissance rationnelle pour entrer dans celui du dogme religieux. L’œuvre de Freud y est présentée à la manière d’un 5e évangile, l’évangile selon Saint Freud. Le mouvement psychanalytique s’est d’ailleurs s’organisé en Eglises et Chapelles, avec ses grands prêtres et ses hérétiques[30].

On remarquera que cette tentation scientiste n’est pas le fait de la seule théorie de l’inconscient. Les sciences physiques, par exemple, ont connue à travers le scientisme au XIXe siècle pareille dérive : la science y présentait un nouveau dogmatisme : hors d’elle point de salut ! (cf. en particulier E. Renan)

Le danger de ce dogmatisme culmine dans l’emploi de l’argument « ad hoc » par lequel certains, parmi lesquels peut-être Freud lui-même, se prémunissaient contre toute critique de la théorie. « Vous ne croyez pas à l’existence de l’inconscient ? c’est que votre inconscient se défend, c’est le signe le plus évident de sa présence » On comprend qu’avec de tels arguments le débat critique nécessaire soit rapidement clos.

A quel prix la théorie de l’inconscient peut-elle prétendre au titre de théorie scientifique ? D’abord à celui de renoncer à ces « défauts de jeunesse » et en acceptant la règle commune à toute science, de la falsifiabilité. Cela impose de reconnaître la théorie de l’inconscient comme validée dans l’état actuel des connaissances, et non comme une vérité éternelle.

On doit de même considérer que les écrits de Freud demandent et demanderont des réajustements théoriques, pour tenir compte de nouvelles découvertes, pour tenir compte aussi du changement affectant la société : les pathologies décrites et soignées par Freud sont souvent celles des femmes de la bourgeoisie puritaine de Vienne au début du XXe siècle. Aujourd’hui la névrose prendra d’autres cours, ce qui oblige un réajustement théorique.

On en conclura qu’il en va de la théorie de l’inconscient comme de toute théorie qui prétend être rationnelle : elle est une représentation d’une réalité, mais ne vaut pas pour cette réalité. Cette représentation, pour être rationnelle, doit pouvoir satisfaire aux exigences mentionnées ci-dessus. C’est à ce titre et seulement à ce titre qu’elle peut être considérée comme valide, au bénéfice d’inventaire, c’est à dire tant qu’une représentation plus précise de cette réalité psychique ne viendra pas s’y substituer.

 

3.3 – Critique moraliste et philosophique

3.3.1 - Sartre : Comment une censure peut-elle être inconsciente ?

(…) la censure, pour appli­quer son activité avec discernement, doit connaître ce qu’elle refoule. Si nous renonçons en effet à toutes les métaphores repré­sentant le refoulement comme un choc de forces aveugles, force est bien d’admettre que la censure doit choisir et, pour choisir, se représenter. D’où viendrait, autrement, qu’elle laisse passer les impulsions sexuelles licites, qu’elle tolère que les besoins (faim, soif, sommeil) s’expriment dans la claire conscience  Et comment expli­quer qu’elle peut relâcher sa surveillance, qu’elle peut même être trompée par les déguisements de l’instinct ? Mais il ne suffit pas qu’elle discerne les tendances maudites, il faut encore qu’elle les sai­sisse comme à refouler, ce qui implique chez elle à tout le moins une représentation de sa propre activité. En un mot, comment la censure discernerait-elle les impulsions refoulables sans avoir conscience de les discerner ? Peut-on concevoir un savoir qui serait ignorance de soi ? Savoir, c’est savoir qu’on sait, disait Alain. Disons plutôt tout savoir est conscience de savoir. Ainsi les résistances du malade impliquent au niveau de la censure une représentation du refoulé en tant que tel (…)[31].

L’argument de Sartre : censurer est une activité consciente, qui suppose la capacité à se représenter ce qui est l’objet de la censure. Or, le surmoi et le ça sont réputé être des mécanismes aveugles, antérieurs à la pensée. Qui est donc le sujet de la censure ? Faut-il supposer que la tripartition ça, surmoi, moi n’est qu’une classification langagière, une « terminologie verbale » cachant la « mauvaise foi[32] » du moi ? Freud n’aurait-il fait autre chose que de baptiser la difficulté ?

F Il semble que c’est la conception « chosiste[33] » de l’inconscient qui choque le plus Sartre. Il participe en ce sens de la même position philosophique qu’Alain dans le texte ci-dessous. La critique est cependant réelle : au sens habituel du mot, pour qu’il y ait censure, il faut bien un sujet de la censure. Or, l’inconscient n’est pas un autre moi. Il manque peut-être à Sartre de considérer comme nous l’avons fait plus haut l’inconscient comme un langage. Nous remarquions (cf. infra : 2.2, p. 14) que la langue que nous parlons est marquée d’une censure qui rend impossible certaines représentations. Y a-t-il un sujet de cette censure de la langue ? N’est-elle pas simplement le résultat d’une intériorisation des interdits de notre société ? Si l’inconscient est structuré de la même manière, il n’est pas besoin d’imaginer un « sujet de la censure ». Il y a censure parce que la structuration même de notre pensée en porte la marque. Si nous pensons le conflit du ça et du surmoi à la manière d’une « forme a priori de la pensée », sur le mode Kantien, nous pouvons comprendre comment certaines représentations peuvent ne pas parvenir à la conscience. Le rêve, par exemple, est marqué par des blancs, comme dans le rêve des « services d’amour » cité par Freud.[34]

Il semblerait donc que la critique Sartrienne, tout comme celle d’Alain que nous allons examiner ci-dessous, repose d’abord sur un a priori philosophique hérité de Descartes, selon lequel il n’y aurait d’autre pensée que celle du moi. Les philosophie qui font du sujet le centre de leur réflexion ont du mal à admettre que l’on touche à ce tout puissant seigneur ! On remarque également qu’en déplaçant la censure du plan de l’inconscient vers celui de la mauvaise foi, Sartre en fait une instance morale, et non plus une simple structure psychique. On retrouvera dans le texte ci-dessous, d’Alain le même a priori philosophique, et la même tendance à la moralisation.

3.3.2 – Alain : Critique morale, ou moralisme honteux ?

Le freudisme, si fameux, est un art d’inventer en chaque homme un animal redoutable, d’après des signes tout à fait ordinaires; les rêves sont de tels signes; les hommes ont toujours interprété leurs rêves, d’où un symbolisme facile. Freud se plaisait à montrer que ce symbolisme facile nous trompe et que nos symboles sont tout ce qu’il y a d’indirect. Les choses du sexe échappent évidemment à la volonté et à la prévision; ce sont des crimes de soi, auxquels on assiste. On devine par là que ce genre d’instinct offrait une riche interprétation. L’homme est obscur à lui-même; cela est à savoir. Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d’inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l’inconscient est un autre Moi; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu’il n’y a point de pensée en nous sinon par l’unique sujet, Je ; cette remarque est d’ordre moral. Il ne faut point se dire qu’en rêvant, on se met à penser. Il faut savoir que la pensée est volontaire; tel est le principe des remords « Tu l’as bien voulu ! » On dissoudrait ces fantômes en se disant simplement que tout ce qui n’est point pensée est mécanisme, ou, encore mieux, que ce qui n’est point pensée est corps. C’est-à-dire chose soumise à ma volonté; chose dont je réponds (...). L’inconscient est une méprise sur le Moi, c’est une idolâtrie du corps. On a peur de son inconscient; là se trouve logée la faute capi­tale. Un autre Moi me conduit qui me connaît et que je connais mal. On s’amuse à faire le fou. Tel est ce jeu dangereux. On voit que toute l’erreur ici consiste à gonfler un terme technique, qui n’est qu’un genre de folie (...). Au contraire, vertu, c’est se dépouiller de cette vie prétendue, c’est partir de zéro. « Rien ne m’engage. » « Rien ne me force. » «Je pense donc je suis. » Cette démarche est un recommence­ment. Je veux ce que je pense, et rien de plus.

En somme, il n’y a pas d’inconvénient à employer couramment le terme d’inconscient; c’est un abrégé du mécanisme. Mais, si on le grossit, alors commence l’erreur; et, bien pis, c’est une faute.

ALAIN, Éléments de philosophie, Gallimard, 1941, Livre deuxième, chap. Xv!, note p. 146.

On remarquera tout d’abord que qu’Alain reprend ici le dualisme cartésien du corps et de l’esprit[35]. Dans un tel dualisme, il n’y a effectivement pas de place pour la dimension inconsciente de la pensée. Mais Alain apporte-t-il ici un argument susceptible de nous convaincre ? Il semble bien qu’il n’y ait ici qu’une réitération redondante des mêmes affirmations : les crierait il plus fort en tapant sur la table que cela ne changerait rien à l’affaire. Laissons Freud répondre à cette première critique

 

Mais il importe davantage de bien se rendre compte que l’objection repose sur l’assimilation non exprimée, mais posée d’emblée, entre le conscient et le psychique. Cette assimilation est ou bien une pétition de principe qui ne permet plus de se demander si tout psychique doit aussi être conscient, ou bien une affaire de convention, de terminologie. Sous cette dernière forme, elle est naturellement, comme toute convention, irréfutable. La ques­tion demeure néanmoins ouverte de savoir si elle se révèle suffisam­ment utilisable pour que l’on doive s’y rallier. On est en droit de répondre que l’assimilation conventionnelle du psychique et du conscient n’est absolument pas utilisable. Elle brise les continuités psychiques, nous précipite dans les difficultés insolubles du parallé­lisme psychophysique, prête le flanc au reproche de surestimer, sans fondement évident, le rôle de la conscience et nous contraint à abandonner prématurément le domaine de la recherche psycholo­gique, sans pouvoir nous apporter de dédommagements tirés d’autres domaines.

Sigmund FREUD,

Métapsychologie (1915), trad. J. Laplanche et J.B. Pontalis, Gallimard.

 

Mais la dernière phrase du texte de Alain révèle une autre dimension de sa critique, déjà sous-jacente dans le texte de Sartre, la dimension morale. Il semble bien, en effet, que son jugement soit plus celui d’une philosophie morale elle même reflet d’un moralisme implicite (ce que j’appelais « moralisme honteux », dans le titre)

En effet, Alain se situe dans le cadre d’un procès en immoralité fait à la théorie de l’inconscient. Celle-ci attirerait de manière abusive l’attention sur l’étiologie sexuelle dans la formation des productions psychiques. La « faute » de Freud rendrait alors sa théorie immorale.

On soulignera tout d’abord qu’il est étrange de critiquer une théorie qui se présente comme une connaissance sur le terrain de la morale. Alain me paraît commettre ici une faute analogue à celle perpétrée par le Saint Office, lors du jugement de Galilée. Ce mélange des genres me semble préjudiciable à la recherche de la vérité, ceci d’autant plus que  le texte d’Alain énonce clairement quel a priori moralisateur le fonde : parler, à propos des « choses du sexe » de « crimes de soi auxquels on assiste » en dit long sur la manière dont le philosophe Alain pense la misérable condition animale de l’homme Emile Chartier[36].

Freud répondra par un sourire à ce type de critique : il est peut-être gênant, ou choquant, de constater que dans notre pensée des étiologies sexuelle et agressive occupent une telle place, mais « ça  les empêche pas d’exister »

Aussi la société n’aime-t-elle pas qu’on lui rappelle cette partie scabreuse des fondations sur lesquelles elle repose; elle n’a aucun intérêt à ce que la force des instincts sexuels soit reconnue et l’importance de la vie sexuelle révélée à chacun; elle a plutôt adopté une méthode d’éducation qui consiste à détourner l’attention de ce domaine. C’est pourquoi elle ne supporte pas ce résultat de la psychanalyse dont nous nous occupons : elle le flétrirait volontiers comme repoussant au point de vue esthétique, comme condam­nable au point de vue moral, comme dangereux sous tous les rapports. Mais ce n’est pas avec des reproches de ce genre qu’on peut supprimer un résultat objectif du travail scientifique. L’opposition, si elle veut se faire entendre, doit être transposée dans le domaine intellec­tuel. Or, la nature humaine est faite de telle sorte qu’on est porté à considérer comme injuste ce qui déplaît ; ceci fait, il est facile de trouver des arguments pour justi­fier son aversion. Et c’est ainsi que la société transforme le désagréable en injuste, combat les vérités de la psy­chanalyse, non avec des arguments logiques et concrets, mais à l’aide de raisons tirées du sentiment, et maintient ces objections, sous forme de préjugés, contre toutes les tentatives de réfutation.

Mais il convient d’observer qu’en formulant la pro­position en question nous n’avons voulu manifester aucune tendance. Notre seul but était d’exposer un état de fait que nous croyons avoir constaté à la suite d’un travail plein de difficultés. Et cette fois encore nous croyons devoir protester contre l’intervention de consi­dérations pratiques dans le travail scientifique, et cela avant même d’examiner si les craintes au nom desquelles on voudrait nous imposer ces considérations sont jus­tifiées ou non.

Freud, Introduction à la psychanalyse, pp. 13-14. P. B Payot, Paris

 

CONCLUSION : de la connaissance de l’inconscient à la conscience morale

Plus on est ignorant, plus on se croit libre, parce qu’on ne connaît pas les lois. Quand on ne connaissait pas les lois de la gravitation, on se croyait libre de voler ou, au contraire, on ne se croyait pas capable de faire quelque chose, par exemple d’aller sur la Lune. (…) cela montre que, lorsqu’on connaît les lois de la gravitation, on ne s’en libère pas, on les utilise pour faire autre chose.

Henri Laborit  Entretien in Le Monde, 29/11/77

Bien qu’Henri Laborit ne puisse être compté au nombre des défenseurs de la théorie de l’inconscient freudien, cette citation, qu’il renouvellera deux ans plus tard dans le film d’Alain Resnais « Mon oncle d’Amérique » va nous servir de point de départ pour comprendre que la théorie de l’inconscient débouche naturellement sur la question éthique, question que nous poursuivrons au travers du cours sur autrui.

Tant que les hommes ont méconnu les lois de la gravitation, ils ont en effet du se contenter de rêver qu’ils volaient, et, tels Icare, sont tombés de haut devant l’étendue de leurs illusions. Tant que l’on se contentera de rêver d’une humanité angélique, que l’on ne reconnaîtra pas le caractère irréductible de sa réalité animale, on ne peut guère espérer lutter pour l’installation d’une société fraternelle et un monde de paix. Nous naissons en portant en nous des pulsions que rien dans notre nature ne vient spontanément structurer. Plus, la vie sociale va faire de nous des individus conscients capables de découvrir que leur intérêt propre peut se développer au détriment de leurs semblables.

La théorie de l’inconscient nous décrit l’homme tel qu’il est le produit involontaire du jeu contradictoire des pulsions originelles et des interdits acquis dans la société. Elle ne  situe pas pour autant l’humain à ce niveau d’inconscience, mais milite au contraire pour que l’avènement de l’homme se fasse à la lumière :

C’est en pleine lumière qu’on triomphe du désir.

Par cet aphorisme, Freud veut signifier que la cure analytique n’a pas pour fonction de ramener l’homme à sa dimension inconsciente. S’il la découvre c’est pour mieux s’en libérer. « Je » dois devenir : le principe est bien d’ordre moral. Dans le film de John Huston (« Freud, secret passions ») la patiente Cecily passe d’un amour infantile pour son père, à un transfert amoureux sur des pères de substitution, Joseph Breuer, puis Freud lui-même ; Freud la conduit à reconnaître le caractère fantasmatique de ces amours qui ne sont que des symptômes. Accepterez-vous cet amour lui demande Cécily ? Comme un dépôt sacré, fait répondre à Freud le scénariste, jusqu’à ce que vous pourrez construire « a love of your own choice ».

Dans Malaise dans la civilisation, écrit au moment même ou Freud va devoir s’exiler à Londres pour fuir la barbarie nazie, il affirme sa foi en une humanité enfin consciente d’elle-même et capable, à condition qu’elle les reconnaisse, de dompter ses démons. Il reconnaît d’ailleurs l’immensité de la tâche et sa difficulté.

Mais  cet espoir requiert la volonté des hommes. Tout comme la cure analytique ne débouche pas (comme le souhaitaient parfois abusivement les thérapeutes anglo-saxons) sur une normalisation de l’individu, mais sur un avènement de sa capacité morale à choisir autour de quelles valeurs ils construira sa vie, l’humanité ne peut progresser qu’en identifiant en elle-même ce qui « dresse les hommes les uns contre les autres »

Reconnaître en nous des tendances de mort, considérer l’homme comme l’être tenté de satisfaire son besoin d'agression aux dépens de son prochain, d'exploiter son travail sans dédommagements, de l'utiliser sexuellement sans son consentement, de s'approprier ses biens, de l'humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer, ce n’est pas justifier la violence par les faits, et baisser les bras devant elle. Freud n’est pas Hobbes : de son « homo homini lupus » il ne tire pas la conclusion que l’homme a besoin d’un état policé capable de le maintenir en respect. Il est paradoxalement plus proche de Rousseau, car bien qu’il ne postule pas la bonté originelle de l’homme, il pense que l’humanité porte en elle à la fois des aspirations capable d’assurer son bonheur aussi bien que d’organiser son malheur. La conclusion de l’ouvrage cité reste ouverte la question :

 

La question du sort de l’espèce humaine me semble se poser ainsi : le progrès de la civilisation saura-t-il, et dans quelle mesure, dominer les perturbations apportées à la vie en commun par les pulsions humaines d’agression et d’auto­destruction ? A ce point de vue, l’époque actuelle mérite peut-être une attention toute particulière. Les hommes d’aujourd’hui ont poussé si loin la maîtrise des forces de la nature qu’avec leur aide il leur est devenu facile de s’exterminer mutuelle­ment jusqu’au dernier. Ils le savent bien, et c’est ce qui explique une bonne part de leur agitation présente, de leur malheur et de leur angoisse. Et maintenant, il y a lieu d’attendre que l’autre des deux « puissances célestes », l’Eros[37] éternel, tente un effort afin de s’affirmer dans la lutte qu’il mène contre son adversaire non moins immortel[38].

Freud, Malaise dans la civilisation, p.107 P.U.F

La représentation de l’homme à laquelle aboutit cette théorie de l’inconscient est une représentation tragique : tout comme pour Rousseau, la perfectibilité humaine n’est pas nécessairement promesse du bien.

 

Ceci nous conduit tout naturellement à notre troisième problématique autour de la question de la conscience : celle de la conscience morale. Et comme cette question est celle du rapport de l’individu humain à son semblable nous nous proposons de traiter ensemble la question de la conscience morale et d’autrui.

 

M. Le Guen 12/2000



[1] Cf. : William James,  Précis de psychologie (1890) Marcel Rivière, 1946, p. 281

Voici bien l'un des caractères les plus surprenants de la vie mentale nous ne percevons que la minime partie des impres­sions dont nous assiège constamment toute notre périphérie sensorielle. Jamais leur somme ne pénètre intégralement dans notre expérience, j'entends dans notre expérience consciente, qui se creuse un lit à travers cette multitude comme ferait un petit ruisseau à travers une large prairie émaillée de fleurs. Cependant les impressions physiques qui ne comptent pas nous sont aussi présentes que celles qui comptent; elles affectent nos sens avec une égale énergie.

Pourquoi ne percent‑elles pas jusqu'à la conscience; C'est là le mystère, que l'on nomme mais que l'on n'explique pas en invoquant « l'étroitesse de la conscience > (die Enge des Bewusstseins) comme son fondement.

[2] T. O. C. : trouble obsessionnel compulsif

[3] Attesté comme adjectif (être inconscient) vers 1820, on ne le retrouve comme substantif qu’à partir de 1870 dans le dictionnaire de Littré. On prendra soin de ne pas le confondre avec le concept d’inconscience, qui caractérise soit le simple état de perte de conscience, soit, dans une acception morale, le caractère de ne pas être conscient (et donc responsable) de ses actes.

[4] Encore que Leibniz ne cite pas nommément le concept. On retrouve cependant chez cet auteur une intuition de la pensée inconsciente, dans le sens d’une « petite perception » précédant nécessairement la perception globale d’un phénomène ou d’une chose : par exemple, dans la perception du mouvement, le cinéma nous montre qu’au delà du rythme de 24 images/seconde, nous ne percevons plus la discontinuité des images, mais une continuité du mouvement ; cependant  cette saisie du mouvement global suppose que nous ayons eu, bien que de manière non-consciente, des petites perceptions préalables. « D’ailleurs il y a mille marques qui font juger qu’il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c’est-à-dire des changements dans l’âme même, dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont, ou trop petites et en trop grand nombre, ou trop unies, en sortes qu’elles n’ont rien d’assez distinguant à part, mais, jointes à d’autres, elle ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir, au moins confusément, dans l’assemblage. C’est ainsi que l’accoutumance fait que nous ne prenons pas garde au mouvement d’un moulin ou à une chute d’eau, quand nous avons habité tout auprès depuis quelque temps.» Leibniz : Nouveaux essais sur l’entendement humain, p. 129, trad. Boutroux, Delagrave

[5] Cf. Michel Foucauld histoire de la folie à l’âge classique

[6] Cf : S. Freud Introduction à la psychanalyse, P. B. Payot, 1965, p.266

« Dans le cours des siècles, la science a infligé à l’égoïsme naïf de l’humanité deux graves démentis. La première fois, ce fut lorsqu’elle a montré que la Terre, loin d’être le centre de l’univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du système solaire dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur… Le second démenti fut infligé à l’humanité par la recherche biologique, lorsqu’elle a réduit à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création , en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l’indestructibilité de sa nature animale.

Cette dernière révolution s’est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace et de leur prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains. Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours, qui se propose de montrer au moi qu’il n’est seulement pas maître dans sa propre maison, qu’il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe en dehors de sa conscience sans sa vie psychique. »

[7] J. A. Rimbaud : Lettre à G. Izambard, 13 mai 1871. Il écrit par ailleurs, dans la Lette à Paul Demeny datée du 15 mai 1871 : « Car Je est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon n'y a rien de sa fautes. Cela m'est évident: j'assiste à l'éclosion de ma pensée: je la regarde, je l'écoute : je lance  un coup d'archet: la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d'un bond sur scène. »

 

[8] Nietzsche : La volonté de puissance, tome 1, p263, trad. Geneviève Bianquis, Ed. Gallimard 1995

[9] Volonté de puissance : cf. le cours sur « conscience morale et autrui » : 3/ le pouvoir, volonté de puissance ou désir de domination.

[10] Invention au sens du découvreur de trésor bien sûr, de l’archéologue ! Qu’on n’y voit aucune malignité !

[11] Cathartique : du grec catarsis, la purification

[12] clivage : Mécanisme décrit par la psychanalyste Mélanie Klein (cf. le cours sur autrui ; 1/ Le sentiment de solitude) désignant, deux attitudes antagonistes portant sur le même objet, visé par deux pulsions antagonistes, amoureuse ou destructrice.

[13] Ça : traduction du pronom personnel neutre allemand es. Désigne l’ensemble des pulsions originelles définies comme ci-dessus p. 6

[14] Surmoi : ensemble des interdits sociaux intériorisés par le sujet au cours de son enfance. Pour rendre sensible cette notion d’intériorisation, on peut citer l’exemple des dégoûts : ils ne sont pas innés, mais acquis, et cependant nous les éprouvons comme des réactions immédiates, physiques. Ils correspondent probablement à des interdits sociaux acquis pendant la petite enfance. On pourrait en dire autant des divers interdits qui inhibent les comportements sexuels ou agressifs, interdisant au sujet de passer à l’acte.

[15] Là où ça était, « je » dois devenir.

[16] Sigmund Freud : Introduction à la psychanalyse, (1916) P. B. P, Paris  pp. 108-09

[17] cf. plus bas 2.2

[18] L’analogie archéologie/théorie de l’inconscient n’est pas gratuite ; Freud déclarait, à propos de l’inconscient : « j’avais peine à en croire mes yeux, je venais, comme Schliemann de découvrir une autre Troie que l’on croyait mythique ». Schliemann(1822-1890), archéologue allemand qui découvrit en 1868 les ruines de 7 villes superposées sur le site d’Hissarlik en Asie mineure.  Il reconnut ainsi que l’Iliade n’était pas seulement un chant poétique mais pouvait  être  aussi considéré comme un récit historique.

La psychanalyse peut donc être comparée à une archéologie de l’âme, puisque, pour découvrir les couches les plus anciennes de l’inconscient, il faut procéder successivement : rompre la chaîne, anticiper l’interprétation en brûlant des étapes, ne permettrait pas de retrouver le sens caché. Cependant l’analogie a sa limite : Schliemann découvrit une civilisation morte ; l’inconscient est,  lui, vivant, et l’enjeu de conflits qui ne sont pas seulement ceux du passé, mais du vécu présent du sujet.

[19] Il convient de rappeler qu’une telle symbolique ne saurait prétendre constituer un « dictionnaire universel des rêves » ou autre clef des songes. En effet, si les psychanalyste ont été amenés à constater dans leur pratique thérapeutique certaines constantes dans la symbolique, ce constat n’est d’aucune utilité pratique en cours d’analyse. Seul le patient peut interpréter ses rêves et, même si l’analyste peut anticiper globalement de cette interprétation, il n’en fera aucun usage. C’est au patient lui-même d’instruire le sens de ses rêves. Tout autre pratique est le signe le plus évident du charlatanisme.

[20] Cf.  le roman de Marie Cardinal « Des mots pour le dire » ou le film qui en a été tiré.

[21] Cf. en particulier Elizabeth Loftus et Katherine Ketcham :Le syndrome des faux souvenirs Ces psys qui manipulent la mémoire,  édition Exergue, 1997 , Paris

[22] Ainsi peut se comprendre la disparition en apparence miraculeuse du symptôme dans la « talking cure », comme l’appelait la première patiente de Freud. S’il n’est qu’une manière de dire, lorsque le patient en trouve une meilleure, c’est à dire une expression qu’il comprend, le symptôme ne sert plus à rien.

[23] Herméneutique : qui a pour objet l’interprétation des texte et des symboles.

[24] Les remarques qui suivent entrent aussi dans le cadre d’une réflexion sur l’épistémologie des sciences humaines. (programme : «constitution d’une science de l’homme : un exemple »)

[25] On citera en particulier les polémiques créées par P. Debray-Ritzen  dans son livre : la scolastique freudienne (Fayard éditeur)

[26] Epistémologie : du grec epistêmê science ou connaissance et logos, étude rationnelle. Terme pris généralement dans le sens de philosophie de sciences ou plus largement philosophie de la connaissance : réflexion critique sur les modalités du développement des connaissances humaines.

[27] Après tout bien d’autres discipline para médicales ont aussi leur efficacité, sans que pour autant on puisse apporter une explication rationnelle de leur modus operandi ; je pense en particulier à l’acupuncture.

[28] Sigmund FREUD, Métapsychologie (1915), trad. J. Laplanche et J.B. Pontalis, Gallimard.

[29] Concept créé par K. Popper, épistémologue autrichien (1902-1994)

[30] Par respect pour une théorie que je pense pourvue de sens, et pour une pratique thérapeutique pouvant aider des personnes à mieux vivre, je me contenterai de signaler que la psychanalyse a donné lieu, et pas seulement aux USA, à de nombreuses déviances de la part d’illuminés plus proches du prophète ou du chef de secte que du thérapeute. Il faut aussi se souvenir que, dans notre pays où un CAP est exigé pour être coiffeur, on ne vous demandera aucun justificatif pour mettre sur votre porte le titre ronflant de « psychothérapeute » …votre seule obligation sera alors de payer vos impôts sur les sommes versés par vos victimes !

[31] Sartre : L’être et le néant, Gallimard, Paris, 1943 pp. 90-91

[32] Mauvaise foi : concept sartrien : désigne l’attitude par laquelle la conscience cherche à se tromper elle-même, afin de dénier ses responsabilités et d’échapper à l’angoisse qu’elles provoquent.  La conscience se ment à elle-même en s’inventant des alibis langagiers.

[33] Chosiste : néologisme synonyme de « réifié » C’est le fait de considérer les faits inconscients comme des choses, c’est à dire des entités non-pensantes.

[34] Cf Freud Introduction à la Psychanalyse, p. 122-23

[35] Cf. supra, p. 2-3

[36] Alain est le pseudonyme d’Emile Chartier (1868-1951)

[37] Il convient de rappeler que pour Freud, aucune société n’a rien à gagner par un excès de répression de la sexualité, qui est à l’origine de l’amour que nous portons à notre semblable : Rappelez-vous l’histoire du cheval de Schilda. Les habitants de cette petite ville possédaient un cheval dont la force faisait leur admiration. Malheureusement, l’entretien de la bête coûtait fort cher; on résolut donc, pour l’habituer à se passer de nourriture, de diminuer chaque d’un grain sa ration d’avoine. Ainsi fut fait, mais, lorsque le dernier grain fut supprimé, cheval était mort. Les gens de Schilda ne surent jamais pourquoi.

Quant à moi, j’incline à croire qu’il est mort faim, et qu’aucune bête n’est capable de travailler si on ne lui fournit sa ration d’avoine. Freud, 5 leçons sur la psychanalyse, p. 65

[38] Il s’agit de Thanatos, dieu de la mort dans la mythologie grecque. Eros et Thanatos sont les deux figures antagonistes de la mythologie empruntées par Freud pour symboliser le premier la pulsion de vie, pulsions sexuelles et auto conservation et le second les pulsions de mort, tournées vers soi (autodestruction) ou vers autrui (agressivité)