COMMUNICATION

 

Introduction : le paradoxe de notre culture

 

On nomme souvent les époques par leur trait technique le plus caractéristique : ainsi a-t-on pu parler de l’âge de la pierre taillée, celui de la pierre polie, l’âge du fer ou du bronze, le siècle de la machine à vapeur, ou l’ère atomique. Notre époque sera nommée l’ère de la communication, tant les progrès techniques en matière de télécommunication, de traitement de l’information, de mondialisation des réseaux ont bouleversé nos relations sociales, notre rapport à l’espace et au temps, et de manière générale, notre culture.

 

Or, devant un tel déversement de puissance médiatique, devant l’accélération vertigineuse de ses progrès, qui ne voit en même temps la dégradation progressive des relations humaines ? Quantitativement, ce progrès est incontestable, mais qualitativement, il n’est pas certain que la communication entre les hommes a beaucoup gagné dans cette débauche de moyens. Trop d’informations aurait-il tué l’échange, pour reprendre une formule à la mode ?

 

Et pourtant, ce divorce entre les moyens de l’échange et sa qualité  sont-ils nouveaux ? N’était-ce pas déjà une problématique identique que soulevait Socrate dans sa critique de la rhétorique ? Aujourd’hui les spécialistes en communication abondent : elle est devenue une discipline incontournable des formations économiques et politiques ; mais ces nouveaux rhéteurs ne sont-ils pas les nobles descendants de Gorgias, le brillant professeur de rhétorique, qui, au Ve siècle avant J. C., se faisait fort de convaincre également le même public sur deux thèses opposées ? Les rapports de la rhétorique et du pouvoir ont-ils changé, ou le divorce entre le discours vertueux, qui vise l’être et la vérité, et le discours perverti, qui flatte ses auditeurs pour mieux les aliéner, est-il toujours d’actualité ?

 


1         Dialogue vertueux et dialogue perverti (commentaire d’extraits du Gorgias, de Platon)

1.1  Socrate, Gorgias et les autres

Le sujet apparent du dialogue de Platon, Gorgias, est la rhétorique. Mais son sujet réel est la finalité de l’action politique : elle devrait viser à épanouir l’être des citoyen, et le dialogue social devrait avoir pour fin la conquête du vrai, et non la recherche de la gloire.

C’est ainsi que Calliclès et Polos, tous deux interlocuteurs de Socrate, et disciples de Gorgias, tout comme Ménon dans un autre dialogue, sont des jeunes gens à la recherche de la gloire, du pouvoir et de la richesse. Bref, ils veulent réussir dans la vie, quand Socrate les exhorte à réussir leur vie.

Gorgias fait profession de rhétorique. Venu a Athènes pour défendre les intérêts d’une cité devant le conseil, il a emporté l’adhésion des magistrats par un habile discours. Depuis, il propose aux jeunes gens d’Athènes, qui veulent occuper une bonne place dans la Cité, des cours de rhétorique, ou d’art oratoire.

Socrate oppose l’habileté du discours de Gorgias, la vertu de la dialectique. Elle vise non la prise de pouvoir sur l’autre, mais la construction commune d’une vérité.

 

1.2  Gorgias, éloge de la rhétorique, défense et illustration

 

Texte

452e p. 135

Gorgias :

Je parle du pouvoir de convaincre, grâce aux discours, les juges au Tribunal, les membres du Conseil au Conseil de la Cité, et l'ensemble des citoyens à l'Assemblée, bref, du pouvoir de convaincre dans n'importe quelle réunion de citoyens. En fait, si tu disposes d'un tel pouvoir, tu feras du médecin un esclave, un esclave de l'entraîneur et, pour ce qui est de ton homme d'affaires, il aura l'air d'avoir fait de l'argent, pas pour lui‑même—plutôt pour toi, qui peux parler aux masses et qui sais les convaincre.

456b p.143

Gorgias :

Ah, si au moins tu savais tout, Socrate, et en  particulier que la rhétorique, laquelle contient, pour ainsi dire, toutes les capacités humaines, les maintient toutes sous son contrôle ! Je vais t'en donner une preuve frappante. Voici. Je suis allé, souvent déjà, avec mon frère, avec d'autres médecins, visiter des malades qui ne consentaient ni à boire leur remède ni à se laisser saigner ou cautériser par le médecin. Et là où ce médecin était impuissant à les convaincre, moi, je parvenais, sans autre art que la rhétorique, à les convaincre. Venons en à la Cité, suppose qu'un ora­teur et qu'un médecin se rendent dans la Cité que tu voudras, et qu'il faille organiser, à l'Assemblée ou dans le cadre d'une autre réunion, une confrontation entre le médecin et l'orateur pour savoir lequel des deux on doit choisir comme médecin. Eh bien, j'affirme que le médecin aurait l'air de n'être rien du tout et que l'homme qui sait parler serait choisi s'il le voulait. Suppose encore que la confrontation se fasse avec n'importe quel autre spécialiste, c'est toujours l'ora­teur qui, mieux que personne, saurait convaincre qu'on le choisît. Car il n'y a rien dont l'orateur ne puisse parler, en public, avec une plus grande force de persuasion que celle de n'importe quel spécialiste. Ah, si grande est la puissance de cet art rhétorique !

Toutefois, Socrate, il faut se servir de la rhétorique comme de tout autre art de combat. En effet, ce n'est pas parce qu'on a appris à se battre aux poings, à se servir du pancrace ou à faire de l'escrime qu'il faut employer contre tout un chacun l'un ou l'autre de ces arts de combat, simplement afin de voir si l'on peut maîtriser et ses amis et ses ennemis ! Non, ce n'est pas une raison pour frapper ses amis, pour les percer de coups, et pour les faire périr ! En tout cas, s'il arrive, par Zeus, qu'un familier de la palestre, un homme donc en pleine forme physique et excellent boxeur, frappe son père, sa mère, l'un de ses proches ou de ses amis, ce n'est pas non plus une raison pour honnir les entraîneurs, non plus que les maîtres d'armes, et les bannir des cités. En effet, les maîtres ont transmis à leurs élèves un moyen de se battre dont ceux‑ci doivent se servir d'une façon légitime, contre leurs ennemis, contre les criminels, pour s'en défendre, pas pour les agresser.  Mais ces élèves font un usage pervers à la fois de leur force physique et de leur connaissance de l'art, ce sont eux qui s'en servent mal !

Tu vois donc que les criminels, ce ne sont pas les maîtres, ce n'est pas l'art non plus—il n'y a pas lieu à cause de cela de le rendre coupable ou criminel; non, les criminels, à mon sens, sont les individus qui font un mauvais usage de leur art. Eh bien, le même raisonne­ment s'applique aussi à la rhétorique. En effet, I'ora­teur est capable de parler de tout devant toutes sortes de public, sa puissance de convaincre est donc encore plus grande auprès des masses, quoi qu'il veuille obte­nir d'elles—pour le dire en un mot.  Mais cela ne donne pas une meilleure raison de réduire en miettes la réputation du médecin—pour le simple motif que l'orateur en serait capable—ni, non plus, celle des autres métiers. Tout au contraire, c'est une raison supplémentaire de se servir de la rhétorique d'une façon légitime, comme on le fait du reste pour tout art de combat. Mais, s'il arrive, je peux l'imaginer, qu'un individu, une fois devenu orateur, se serve à tort du pouvoir que lui donne la connaissance de l'art, l'homme qu'il faut honnir et bannir des cités n'est pas son maître de rhétorique. Car le maître a transmis un art dont il faut faire un usage légitiment alors que l'autre, son disciple, s'en est servi tout à l'inverse. L'homme qui doit, à juste titre, être honni, banni, anéanti, c'est donc l'homme qui s'est mal servi de son art, mais pas celui qui fut son maître.

Commentaire

 

 

La rhétorique est l’exemple même du discours perverti, car elle place le dialogue dans une perspective de prise de pouvoir sur l’autre. Peu importe d’ailleurs ce qui est dit : le sens est disqualifié en tant que tel, seul compte l’efficacité de la technique oratoire. On pourrait dire, que dans « convaincre » il y a aussi l’idée de vaincre, et le dialogue est faussé, il se mue en joute oratoire, il veut un vainqueur et un vaincu .

 

 

 

On remarque ici l’opposition entre le discours du rhéteur et celui du spécialiste ; l’un prétend détenir une arme imparable, l’autre une science ; l’un n’est qu’une technique, l’autre un art.

Gorgias instruit sans s’en rendre compte le procès de la rhétorique. Face au médecin, il avoue peu ou prou que le rhéteur n’a rien à dire, il ne peut se targuer que d’un charisme, d’un pouvoir sur autrui, en rien d’un savoir ou d’une compétence thérapeutique.

C      On notera que la question de la rhétorique reste une question de notre temps. Le pouvoir des médias est un pouvoir sans réel savoir. Il ne repose que sur un ensemble de techniques de communication

 

 

 

 

 

 

Ce n’est donc pas en termes de sens que l’on peut parler de la rhétorique, mais en termes de puissance et de domination. Un autre thème récurant de la plaidoirie de Gorgias est celui du « public » qui reprend le concept de « masse » rencontré plus haut.

La comparaison qui suit, entre rhétorique et art de combat est, elle aussi un aveu : la rhétorique n’est qu’un moyen, elle n’a en elle-même aucune vertu. Elle est donc en incontrôlable, si une réflexion morale ne vient pas freiner  les appétits de celui qui l’utilise.

L’urgence est-elle de donner aux disciples les moyens de satisfaire leurs appétits, ou de les rendre meilleurs par une dialectique qui leur permette d’accoucher de la vérité qu’ils portent en eux ?

C      Remarquons que dans les « défenses et illustrations » de la liberté de communiquer qui sont aujourd’hui développées (liberté de la presse, liberté de navigation sur le « net », liberté des médias, etc) l’argumentation est exactement la même : ce ne sont pas les moyens, qui dit-on, sont en cause, mais les utilisations pernicieuses qui en sont faites. On oublie cependant de mentionner que ce sont ces mêmes médias qui, « après avoir d’abord abêti leur bétail » comme le dirait Kant  proclament haut et fort le « droit à l’information . »

Gorgias développe ensuite un plaidoyer en faveur de sa propre cause : il plaide non-coupable. Le maître de rhétorique, pas plus que le maître d’arme n’est responsable de la perversion de son « art » : ce n’est pas de sa faute si ses élèves ne sont pas vertueux.

Mais hélas pour lui, il ne peut présenter aucun élève vertueux. Polos n’est qu’un hypocrite un peu lâche, et Calliclès, ou ailleurs Ménon, sont des « jeunes loups aux dents longues », qui ne visent que le pouvoir et la richesse, c’est à dire l’avoir et non l’être.

Mais à la figure de Gorgias, qui veut  armer ses disciples sans leur enseigner la vertu, on opposera celle de Socrate, qui cherche à réveiller en eux l’étincelle du bien.

C      La précédente remarque vaut aussi pour la publicité, qui est aujourd’hui, par excellence, le discours de la rhétorique. Le publicitaire se permet toutes les audaces, au nom du sacro-saint principe de la liberté de parole. Il plaide aussi l’irresponsabilité, au nom bien souvent d’un « second degré », qui n’est, ni plus ni moins qu’une ruse rhétorique.

 

 

1.3  Socrate, critique de la rhétorique ; le dialogue vertueux

 

Socrate :

J'imagine, Gorgias, que tu as eu, comme moi, l'expérience d'un bon nombre d'entretiens. Et, au cours de ces entretiens, sans doute auras-tu remarqué la chose suivante: les interlocuteurs ont du mal à définir les sujets dont ils ont commencé de discuter et à conclure leur discussion après s'être l'un et l'autre mutuellement instruits. Au contraire, s'il arrive qu'ils soient en désaccord sur quelque chose, si l'un déclare que l'autre se trompe ou parle de façon confuse, ils s'irritent l'un contre l'autre, et chacun d'eux estime que son interlocuteur s'exprime avec mauvaise foi,  pour avoir le dernier mot, sans chercher à savoir ce qui est au fond de la discussion. Il arrive même, parfois qu'on se sépare de façon lamentable: on s'injurie, on lance les mêmes insultes qu'on reçoit, tant et si bien que les auditeurs s'en veulent d'être venus écouter pareils individus.  Te demandes-tu pourquoi je parle de cela ? Parce que (…) j'ai peur de te réfuter, j'ai peur que tu ne penses que l'ardeur qui m'anime vise, non pas à rendre parfaitement clair le sujet de notre discussion, mais bien à te critiquer.

 

Veux-tu savoir quel type d'homme je suis ? Eh bien, je suis quelqu'un qui est content d'être réfuté, quand ce que je dis est faux, quelqu'un qui a aussi plaisir à réfuter quand ce qu'on me dit n'est pas vrai, mais auquel il ne plaît pas moins d'être réfuté que de réfuter. En fait, j'estime qu'il y a plus grand avantage à être réfuté, dans la mesure où se débarrasser du pire des maux fait plus de bien qu'en délivrer autrui. Parce qu'à mon sens, aucun mal n'est plus grave pour l'homme que se faire une fausse idées des questions dont nous parlons en ce moment. Donc, si toi, tu m'assures que tu es comme moi, discutons ensemble; sinon, laissons tomber cette discussion, et brisons-là .

 

458e p.147

Socrate :

(…)

Tu prétends que si un homme souhaite apprendre la rhétorique avec soi, tu peux en faire un orateur.

Gorgias :

Oui.

Socrate :

Un orateur qui sache donc convaincre son public, quel que soit le sujet dont il parle, sans lui donner la moindre connaissance de ce sujet, mais par persuasion.

Gorgias :

Oui, c'est tout à fait cela

Socrate :

Or, tout à l'heure, tu disais bien que, même sur des questions de santé, I'orateur est plus convaincant que le médecin.

Gorgias :

En effet, je l'ai dit -quand l'orateur parle en public.

Socrate :

Mais que veux-tu dire avec ce " en public ? "est-ce devant des gens qui ignorent ce dont on leur parle ? Car, bien sûr, si l'orateur parlait devant des gens qui s'y connaissaient, il ne serait pas plus persuasif que le médecin !

Gorgias :

Tu dis vrai.(…)

Socrate :

Donc, I'orateur, qui n'y connaît rien, convaincra mieux que le connaisseur s'il s'adresse à des gens qui n'en connaissent pas plus que lui: voilà, est-ce bien le cas où l'orateur est plus persuasif que le médecin ? Ou les choses se passent-elles autrement ?

Gorgias :

Non c'est  bien ce qui arrive, dans le cas de la médecine, du moins.

Socrate :

Et dans le cas des autres arts? L'orateur et la rhétorique ne se trouvent-ils pas toujours dans une situation identique ? La rhétorique n'a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle; simple­ment, elle a découvert un procédé qui sert à convain­cre, et le résultat est que, devant un public d'ignorants, elle a l'air d'en savoir plus que n'en savent les connaisseurs.

463a p.159

Socrate :

Eh bien, d'après moi, Gorgias, la rhétorique est une activité qui n'a rien à voir avec l'art, mais qui requiert chez ceux qui la pratiquent une âme perspicace, brave, et naturellement habile dans les relations humaines une telle activité, pour le dire en un mot, je l'appelle flatterie. La flatterie comporte, à mon avis, plusieurs parties, différentes les unes des autres. La cuisine est l'une de ces parties: elle a l'air d'être un art, mais j'ai de bonnes raisons de penser qu'elle n'est pas un art, rien qu'un savoir-faire, une routine. La rhétorique aussi, j'en fais une partie de la flatterie, comme l'esthétique, bien sûr, et la sophistique: cela fait quatre parties, avec quatre objets distincts. Bon, si Polos veut en savoir plus, il n'a qu'à essayer de s'informer; car, je ne lui ai pas encore fait savoir dans quelle partie de la flatterie je dis que se trouve la rhétorique; en fait, il n'a pas compris que je ne lui ai pas encore répondu, et il s'obstine à me demander si je ne pense pas que la rhétorique est belle. Eh bien moi, je ne répondrai pas à ta question, si je crois que la rhétorique est belle ou qu'elle est vilaine, avant de te répondre en te disant d'abord ce qu'elle est ! Autre­ment, ce n'est pas juste, Polos. En revanche, si tu tiens à savoir dans quelle partie de la flatterie je dis que se trouve la rhétorique, demande le moi.

464b p.161

Socrate :

Existent donc quatre formes d'arts qui ont soin, les unes, du plus grand bien du corps, les autres, du plus grand bien de l'âme. La flatterie l'a vite compris, je veux dire que, sans rien y connaître, elle a visé juste: elle-même s'est divisée en quatre réalités, elle s'est glissée subrepticement sous chacune de ces quatre disciplines, et elle a pris le masque de l'art sous lequel elle se trouvait. En fait, elle n'a aucun souci du meilleur état de son objet, et c'est en agitant constam­ment l'appât du plaisir qu'elle prend au piège la bêtise, qu'elle l'égare, au point de faire croire qu'elle est plus précieuse que tout.

(…)Moi, je n'appelle pas cela un art, rien qu'une pratique, qui agit sans raison.

1.3.1          La rhétorique n’est qu’une joute oratoire vaine

Si le dialogue se pervertit en joute oratoire, il perd de son intérêt. Le but n’est plus la progression vers la vérité, et les spectateurs se contentent de « compter les points », ou d’applaudir la victoire du vainqueur. Les interlocuteurs agissent sans méthode, ne parlent éventuellement pas de la même chose (on en trouvera des exemple dans la lecture du « Ménon » de Platon à propos du concept de « vertu ».) En effet  Ménon et Socrate ne visent pas la même chose sous le nom de vertu. Le premier vise, au sens étymologique, la force virile, la puissance guerrière et le savoir faire politique. Mais pour Socrate, vertu est excellence, c'est à dire progression dans l'être, réalisation de notre essence. Devant une telle distorsion du mot, on conçoit que Socrate ait estimé que la tâche de définir la vertu était une tâche plus urgente que de savoir si elle  s'enseigne ou non.[1] Ménon est l’exemple même du « mauvais » interlocuteur : il refuse la réflexion initiale sur le sens des concepts, il ne veut entendre qu’une confirmation de son opinion.

            Etre réfuté est un bienfait

Socrate postule comme la qualité première du discours vertueux d’admettre a priori la possibilité d’être réfuté. Je ne vais pas à l’autre armé de mes certitudes et déterminé à les lui imposer, mais au contraire, je lui demande de me révéler mon erreur, si je me trompe, et, au-delà, de construire ensemble une vérité. Le plaisir du dialogue n’est donc pas dans la victoire sur l’autre, mais dans une progression de soi et de l’autre vers le vrai.

C      On pense bien sûr à la vanité et à la vacuité de ces débats politiques télévisés, au cours desquels les « adversaires » recherchent non le bien commun (de la res publica) mais à éliminer un concurrent de la course au pouvoir.

1.3.2          La rhétorique n’est efficace que devant un public d’ignorants

La rhétorique dévalorise a priori ceux auxquels elle s’adresse. Elle se sert du manque de jugement et la faiblesse de son public, qui n’est vu que comme une masse, comme un troupeau docile qu’elle cherche à séduire, non à éduquer.

Ainsi Gorgias ne s’adresse pas, comme le fait Socrate, à un interlocuteur, à un homme, il s’adresse à la foule.

Ainsi Gorgias reconnaît-il que son discours s’adresse aux ignorants, non aux spécialistes.

C      Il faut mesurer le discours d’un homme d’Etat à son peuple, non d’après l’impression qu’il produit sur un professeur d’université, mais par son action sur le peuple lui-même. (A. Hitler)

Polos, un des disciples de Gorgias, veut faire rire la foule au détriment de Socrate ; mais ce dernier ne demande, que l’assentiment de Polos, dans leur recherche commune de la vérité :« Regarde bien, Polos, ma réfutation à côté de ta réfutation; si on les compare, elles ne se ressemblent en rien. Pourtant, avec ta réfutation, tout le monde est d'accord, sauf moi a. Tandis que moi, quand je te réfute, je me contente de ton accord et de ton témoignage. Aussi, c est toi, et toi seul, que je fais voter—les autres, je les envoie promener. Bon, cela va comme ça. »

C      Dans  la polémique récente adressée à l’émission de M6 « loft story » les médias ont souvent argué de l’engouement du public pour cette émission pour  répondre aux critiques éthiques, en disant que la raison des plus nombreux était la meilleure, sans s’embarrasser d’avoir préalablement « conditionné » le goût de son public à ce type de prestation.

 

On comprend alors que le rhéteur n’a rien à dire.  La vanité de son pouvoir n’a d’égal que la vacuité de son propos.

 

1.3.3          La rhétorique n’est pas un art, mais une flatterie et une routine

Comment agit la rhétorique ? Bien sûr elle se sert d’une technique oratoire, de l’art de bien parler, d’une gestuelle, d’une mise en scène etc… Mais si son efficacité tient pour part dans ses moyens, elle s’appuie tout d’abord sur les faiblesses de ses interlocuteurs.

            La rhétorique comme flatterie

On se souviendra d’abord de la morale de la Fable de La Fontaine Le Corbeau et le Renard : « Apprenez que tout flatteur vit au dépens de celui qui l’écoute ».

En fait, le rhéteur n’a pas besoin de fournir de grands efforts pour être convaincant : il lui suffit de découvrir chez son « adversaire » la faille secrète, l’appétit qu’il faut flatter pour circonvenir l’autre. Dans ce jeu du pouvoir, le dominé est celui qui révèle à l’autre ses attentes et ses désirs.

Ainsi donc la rhétorique n’est pas belle, elle n’a par elle-même aucune vertu ; comme tout moyen, elle est seulement efficace.

C      La rhétorique porte un nom en politique : c’est la démagogie. Le tribun populiste sait flatter le peuple ; il excite ses vieux démons, lui donne « du pain et du cirque », bref, l’abreuve de promesses. Il sait désigner à la vindicte populaire le bouc émissaire idéal, chargé de tous les malheurs du moment ; il glorifie sa race, et le couvre de lauriers immérités.

C      Dans la publicité, le message est ciblé en direction d’un segment du marché. La publicité pour telle marque de lessive ciblera par exemple la classe des jeunes cadres et utilisera par conséquent leurs mythologies (tennis, golf, enfants « cyrillus », jeunes dynamiques branchés etc) pour vendre. Bref au lieu de défendre le produit (ce qui n’est que de la réclame), on séduit le client en lui offrant une image valorisante de lui-même.

            La rhétorique comme routine

Une routine est assimilable à une recette : c’est un ensemble de conduites pratiques, dont on ne connaît pas bien les raisons, mais dont on apprécie les effets. Point n’est nécessaire que la routine se justifie : ses résultats parlent pour elle

C      […] il s’agit de l’affaiblissement du libre arbitre de l’homme. […] Le matin et encore pendant la journée, les forces de la volonté des hommes s’opposent avec la plus grande énergie aux tentatives de leur suggérer une volonté étrangère, une opinion étrangère. Mais le soir, ils succombent plus facilement à la force dominatrice d’une volonté plus puissante. Adolf Hitler, Mein Kampf

Le discours vertueux, c’est la dialectique. Celle-ci ne requiert, chez les interlocuteurs, que la bonne foi et la volonté affirmée a priori de soumettre ses opinions au questionnement du dialogue. Socrate en donne l’exemple dans le Ménon : il prend parmi la suite de Ménon un jeune esclave dont il exige seulement qu’il connaisse le grec, et qu’il réponde à ses questions. Nulle connaissance préalable n’est exigée, au contraire ; et sur cette cire vierge, Socrate se fait fort de construire, à travers le questionnement, un raisonnement mathématique aboutissant à la résolution d’un problème géométrique complexe : quelle doit être la longueur du côté d’un carré dont l’aire sera double de celle d’un carré primitif donné[2] ?

2         – L'échange et ses conditions.

A partir du texte d’Aristote présenté ci-dessous, tentons à présent de dégager les conditions de l’échange. A partir du parallèle introduit par Aristote entre la Loi et la monnaie, on peut étendre la comparaison au mot, c’est à dire passer de la convention sociale à l’échange économique, puis à l’échange d’idées au sein de la société.

Sans besoin, et sans besoins semblables, il n’y aurait pas d’échanges, ou les échanges seraient différents. La monnaie est devenue, en vertu d’une convention, pour ainsi dire, un moyen d’échange pour ce qui nous fait défaut. C’est pourquoi on lui a donné le nom de nomisma parce qu’elle est d’institution, non pas naturelle, mais légale (nomos = loi), et qu’il est en notre pouvoir, soit de la changer, soit de décréter qu’elle ne servira plus. En conséquence, ces échanges réci­proques auront lieu, quand on aura rendu les objets égaux. Le rapport qui existe entre le paysan et le cordonnier doit se retrouver entre l’ouvrage de l’un et celui de l’autre. Toutefois, ce n’est pas au moment où se fera l’échange qu’il faut adopter ce rapport de proportion (...); c’est au moment où chacun est encore en possession de ses produits. A cette condition, les gens sont égaux et véritablement associés parce que l’égalité en question est en leur pouvoir; par exemple un paysan A, une certaine quantité de nourriture C, un cordonnier B et le travail de celui-ci D, qu’on estime équivaloir à cette quantité. Si l’on ne pouvait pas établir cette réciprocité, il n’y aurait pas de communauté sociale pos­sible. Quant au fait que c’est le besoin qui maintient la société, comme une sorte de lien, en voici la preuve : que deux personnes n’aient pas besoin l’une de l’autre, ou qu’une seule n’ait pas besoin de l’autre, elles n’échangent rien. C’est le contraire si l’on a besoin de ce qui est la pro­priété d’une autre personne, par exemple du vin, et qu’on donne son blé à emporter. Voilà pourquoi ces produits doivent être évalués. Pour la transaction à venir, la monnaie nous sert, en quelque sorte, de garant et, en admettant qu’aucun échange n’ait lieu sur-le-champ, nous l’aurons à notre disposition en cas de besoin. Il faut donc que celui qui dispose d’argent ait la possibilité de recevoir en échange de la marchandise. Cette monnaie même éprouve des dépréciations, n’ayant pas toujours le même pouvoir d’achat. Toutefois elle tend plutôt à être stable. En conséquence de quoi, il est nécessaire que toutes choses soient évaluées; dans ces conditions, l’échange sera toujours possible et par suite la vie sociale. Ainsi la monnaie est une sorte d’intermédiaire qui sert à appré­cier toutes choses en les ramenant à une commune mesure. Car, s’il n’y avait pas d’échanges, il ne saurait y avoir de vie sociale; il n’y aurait pas davantage d’échange sans égalité, ni d’égalité sans commune mesure. Notons qu’en soi, il est impossible, pour des objets si différents, de les rendre commensurables entre eux, mais, pour l’usage courant, on y parvient d’une manière satisfaisante. Il suffit de trouver un étalon, quel qu’il soit —et cela, en vertu d’une convention; d’où le nom de nomisma, donné à la monnaie. Elle soumet tout, en effet, à une même mesure; tout s’évalue en monnaie. Soient une maison A, dix mines que nous désignons par B, un lit C; supposons que A soit la moitié de B, la maison coûtant cinq mines ou équivalent à cinq mines; le lit C, étant la dixième partie de B, on voit clairement combien de lits équivalent à une maison, soit cinq lits.

Aristote, Éthique à Nicomaque, trad. Voilquin,

Éditions Garnier, Livre V. chap. 5, pp. 134-135.

2.1 - La communauté des besoins, la loi, les échanges économiques, l’échange social

Sans besoin, et sans besoins semblables, il n’y aurait pas d’échanges,

ou les échanges seraient différents

(…)Quant au fait que c’est le besoin qui maintient la société,

comme une sorte de lien, en voici la preuve :

que deux personnes n’aient pas besoin l’une de l’autre,

ou qu’une seule n’ait pas besoin de l’autre,

elles n’échangent rien.

C’est le contraire si l’on a besoin de ce qui est la pro­priété d’une autre personne,

par exemple du vin, et qu’on donne son blé à emporter.

Sans communauté de besoin, il n’y aurait pas d’échange, et probablement il n’y aurait pas de société ; d’où on entendra que :

-         La société ne se maintient que si cette communauté de besoin crée une solidarité entre ses membres

-         Que s’il n’existe entre eux aucune différence, chacun est autosuffisant, et rien ne s’échange.

-         Que ces échanges vitalisent le lien social : si rien ne circule dans une société, ni marchandises, ni hommes, ni idées, la société n’est plus qu’une forme vide, et ne tardera pas à disparaître.[3]

Ces remarques s’entendent  quelle que soit la nature de l’échange et de ce qui est échangé. Aristote se limite ici à une comparaison entre les relations sociales et les relations économiques (loi, monnaie), mais on pourrait étendre le propos aux échanges en général et en particulier à la communication des idées (par des mots)

? On relèvera aussi que la société n’est pas qu’une simple communauté de besoins, mais plutôt une communauté de désirs, un entrecroisement de désirs. « la société n’est humaine qu’en tant qu’ensemble de désirs se désirant mutuellement en tant que désirs ; (…) l’histoire humaine est l’histoire des désirs désirés» dira A. Kojève dans son commentaire de la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel. Ainsi par exemple, nous n’avons pas seulement besoin d’autrui parce qu’il détient ce que nous n’avons pas, mais aussi parce que nous attendons de lui une reconnaissance de notre humanité. L’amour humain exprime toujours une demande, et je t’aime veut dire aussi aime-moi.[4]

 

2.2- La monnaie commune, la loi et les mots

Mais la communauté des besoins ou celle des désirs ne suffit pas à instaurer l’échange. Il faut encore une mesure commune, dont la valeur doit être établie indépendamment de ce qui est échangé. Partant d’une parenté étymologique entre nomos (la loi) et nomisma (la monnaie) Aristote montre que toutes deux sont des conventions. Nous proposons d’étendre la comparaison au mot (au nom) pour montrer dans les trois cas une identité de structure.

 

Loi

(nomos)

Monnaie

(nomisma)

Mot

(nom[5])

La loi, la règle sociale est :

 

Conventionnelle : ce sont des institutions, convenu entre  les membres du corps social

 

Propre à un peuple donné : c’est la manière d’être particulière à une ethnie donnée, et bien souvent le moyen de se différencier des autres peuples

 

La loi se veut égale pour tous, elle devrait s’appliquer de manière universelle à l’ensemble des citoyens.

La monnaie est :

 

Conventionnelle : sa valeur ne repose que sur la confiance (monnaie « fiduciaire ») de ceux qui l’utilisent

Son cours et sa valeur s’entendent dans un contexte économique donné, limité à la zone d’influence économique d’un peuple ou d’une société

 

Quelle  que soit la marchandise échangée, la valeur de la monnaie est la même pour tous. Elle est fixée indépendamment de tel échange particulier.

Le mot, le signe est :

 

Conventionnel et arbitraire : le lien entre le signifiant et le signifié est arbitraire

 

La langue est propre à un peuple et sert bien souvent  à lui donner une identité par rapport aux autres peuples.

 

 

Idéalement, les mots n’appartiennent à personne, aucun homme ne peut s’en dire le créateur ou le détenteur. Leur sens est établi avant l’échange, et compris également par tous

 

Ainsi, la monnaie donne la possibilité de ramener la diversité des objets à échanger à une mesure commune, qui permet de les évaluer. Pour que l’échange ne soit pas un marché de dupes, la valeur que l’on accorde à la monnaie doit bien sûr être fixée avant l’échange, et ne pas varier en fonction des marchandises échangées. De même, les règles sociales, pour être justes, doivent respecter une continuité, et ne pas varier au gré des situations particulières[6]. Le langage enfin institue un terrain d’entente, une tierce réalité, ce que nous nommerons plus bas « l’intersubjectivité ». C’est par lui qu’une pensée peut cesser d’être subjective, particulière, pour devenir objective et universelle.

? Relevons, à la fois pour prolonger la pensée d’Aristote, et en limiter la portée à une définition idéale de la communication sociale que, tout comme il existe de la fausse monnaie et des lois iniques ou scélérates, il peut aussi y avoir un usage perverti de la langue. L’égalité de tous devant la loi, l’argent et la langue, est postulée comme garante de l’équité. Dans les faits, le moyen de cette égalité est bien souvent détourné, comme nous le verrons par l’examen de l’exemple ci-dessous

2.3              - Abus de mots, abus de pouvoir, l’affaire Dominici[7]

Au procès Dominici, littérature et justice se sont porté mutuellement assistance ; les romanciers sont venus y chercher des portraits sur le vif et ont fourni aux juges les ressources de la psychologie des caractères et de leur style.

? Cette alliance entre justice et littérature ne fait pas exception ; d’autres affaires criminelles plus récentes ont montré cette scandaleuse collusion ; qu’on pense en particulier au fourvoiement de Marguerite Duras dans l’affaire dite du « Petit Gregory ».

Mais le scandale dénoncé ici par Barthes ne se résume pas à cette complicité. Comment ne pas être scandalisé par ce procès où la culpabilité d’un homme s’est jouée sur des mots, sur le discours des juges que l’accusé ne pouvait pas comprendre ?

Faute de preuves matérielles, les juges ont rêvé la culpabilité du patriarche, déduisant sa mentalité et la logique de ses actes d’une psychologie prétendument universelle ; de même, tous ont feint de croire que les catégories du langage juridique rejoignaient celles du berger, oubliant l’hétérogénéité de ces deux niveaux de langue qui ne pouvaient se rencontrer. Au nom de cette typologie descriptive le juge peut, sans états d’âme mettre en scène la culpabilité d’un homme qu’il condamnera néanmoins comme sujet responsable de ses actes.

? Deux mythes servent le discours des juges :

-         d’une part, celui de l’universalité du langage. Héritée des lumières, cette idée d’une raison unique universelle, véhiculé par la langue de Voltaire et de Rousseau, a servi d’alibi à deux siècles d’acculturation[8] des peuples colonisés. Or, il n’y a pas d’infra langage, pas plus qu’il n’y a d’infra culture. Langage du dominant ou langage du dominé, tous deux sont également complexe : simplement ils relèvent de deux manières particulières à un peuple ou à une caste de comprendre le monde.

-         D’autre part, celui de la psychologie universelle : les hommes, quelle que soit leur époque ou leur culture, penseraient et agiraient de la même manière, selon des catégories immuables. Ces catégories ne sont en fait que les a priori, les préjugés, le « bon sens » de la classe dominante.

? Notons que nous pourrions aussi faire le reproche à Socrate, de pactiser dans le Ménon, avec les illusions dénoncées ici par Barthes : ne demande-t-il pas au jeune esclave de Ménon qu’une chose, la possession de la langue grecque, prétendant du même coup réaliser une égalité fictive entre le métèque et le citoyen, entre l’enfant et le philosophe, ou entre l’esclave et son maître ? Une telle égalité ne relève-t-elle pas d’un angélisme dangereux ?

L’Académie et le prétoire ont échangé leurs procédés, les premiers en faisant du procès un phénomène littéraire, les seconds en usant de rhétorique. La  farce serait plaisante si la vie d’un homme n’était en jeu. Ainsi ce procès vérifie de scandale : le discours du plus fort, faute d’être le plus vrai,  a toujours le dernier mot.

            ? Nous solliciterons de nouveau la morale de deux fables de La Fontaine :

-         La raison du plus fort est toujours la meilleure[9] : la remarque  est cynique : la force n’a pas besoin de raison pour dominer, le discours du maître domine toujours  celui de l’esclave, non parce qu’il est plus vrai, mais parce que le maître a la force (des armes, de la position sociale, de l’argent) pour lui.

-         Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir[10] : Le discours du pouvoir se justifie par une rhétorique, non par la recherche de l’équité.

Ainsi le message de Gorgias mérite d’être entendu : il sonne comme un avertissement. Socrate nous prône la vertu du dialogue vertueux, mais il ne peut rien contre les appétits de ceux qu préfèrent l’avoir à l’être, et la domination à la création. Il est bon de conserver présent à notre mémoire que les mots peuvent être à la fois nos serviteurs et nos maîtres, et que tout discours peut être perverti par ceux pour qui il est une arme. A l’oublier, nous irions en bêlant à la rencontre de nos maîtres.

 

3        - Le dialogue et la perception d’autrui (application du cours qui précède au commentaire d’un texte de Merleau-Ponty)

 

Il y a, en particulier, un objet culturel qui va jouer un rôle essentiel dans la perception d’autrui : c’est le langage. Dans l’expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu’un seul tissu, mes propos et ceux de l’interlocuteur sont appelés par l’état de la discussion, ils s’insèrent dans une opération commune dont aucun de nous n’est le créateur. Il y a là un être à deux, et […] nous sommes l’un pour l’autre collaborateurs d’une réciprocité parfaite, nos perspectives glissent l’une dans l’autre, nous coexistons dans un même monde. Dans le dialogue présent, je suis libéré de moi-même. Les pensées d’autrui sont bien des pensées siennes, ce n’est pas moi qui les forme, bien que je les saisisse aussitôt nées ou que je les devance, et, même l’objection que me fait l’interlocuteur m’arrache des pensées que je ne savais pas posséder, de sorte que, si je lui prête des pensées, il me fait penser en retour. C’est seulement après coup, quand je me suis retiré du dialogue et m’en ressouviens, que je puis le réintégrer à ma vie, en faire un épisode de mon histoire privée, et qu’autrui rentre dans son absence, ou, dans la mesure où il me reste présent, est senti comme une menace pour moi.

 

 

Maurice Merleau-Ponty[11] Phénoménologie de la perception,

Gallimard, 1945, p. 407

 

Introduction :

Maurice Merleau-Ponty, philosophe français du XXe siècle, dont la pensée  se  situe  dans  le  prolongement de la  phénoménologie d’E. Husserl déclarait, Tout est naturel dans l’homme, et tout est culturel. C’est dire que notre condition d’homme est à l’entrecroisement d’une donnée naturelle et d’un acquis de civilisation. Mais  peut-on distinguer dans la culture une production qui ne serait que culturelle, une production qui, à la fois, nous ferait entrer dans la culture, nous ferait penser, et assurerait  un rôle essentiel dans la perception de notre semblable ? Ce rôle est tenu, affirme ici l’auteur, par le langage, et plus précisément par le langage en acte, le dialogue. Je découvre dans le dialogue la dualité de ma perception d’autrui, car si le dialogue constitue ce plan de l’intersubjectivité qui rend possible l’élaboration d’une pensée également partagée entre moi et autrui, si c’est dans cet échange de paroles que nous découvrons mutuellement nos propres pensées, sa présence à ma conscience peut être cependant ressentie comme aliénante

. Est-ce par ce dialogue que se crée entre autrui et moi une communauté ? Est-ce par lui que notre pensée prend son essor ? Mais si autrui intervient dans la formation de notre pensée, n’est-il pas perçu comme une menace pour son indépendance ? Telles sont les questions qui me semblent soulevées par ce texte.

 

 

Entrée en matière

 

 

 

 

 

 

Mise en évidence du concept central.

Reformulation de la thèse principale du texte.

 

Présentation du plan d’explication.

 

 

 

 

            Dans la première partie du texte, Merleau-Ponty présente, à travers de nombreux avatars d’une même métaphore l’une des vertus du dialogue : elle crée entre autrui et moi une communauté, dont aucun n’est le créateur ni le propriétaire. En quoi le dialogue est-il créateur de ce champ de l’intersubjectivité où nous pouvons échanger à égalité avec  autrui ?

            « Terrain commun, un seul tissu, une opération commune, un être à deux, un même monde » : quel est le sens d’une telle redondance dans la réitération de la métaphore ? Il faut rappeler tout d’abord que chaque conscience s’apparaît à elle-même comme fermée par rapport à ce qui n’est pas elle. Comme le dira Sartre « dans le champ de ma réflexion, je ne puis rencontrer que la conscience qui est mienne » C’est dire que nous nous apparaissons mutuellement comme autant de « petits mondes », de citadelles fermées sur elles-mêmes. Comment pouvons nous réussir à communiquer à autrui une pensée ou une expérience qui est marquée du sceau de l’individualité ? Le dialogue réalise ce miracle : son premier caractère est qu’il est une création à deux, puisque l’idée découverte en commun ne préexiste pas dans l’esprit de chacun. C’est précisément la rencontre des deux points de vue qui crée une tierce réalité, où chacun peut se reconnaître, mais qui n’est réductible à aucun des deux sujets, parce qu’elle n’existait ni dans la pensée de l’un ni dans celle de l’autre avant la relation. Que l’un ou l’autre des interlocuteurs essaye, par force, d’imposer son idée, le charme est rompu : le dialogue se transforme en une juxtaposition de monologues qui tentent de se supplanter, mais qui ne se rencontrent pas. La métaphore du tissu qu’utilise ici Merleau-Ponty est des plus explicite : si l’un est la trame, l’autre la chaîne, aucun d’eux n’est le tissu et il faut l’entremêlement des fils pour le tisser.

            Si le dialogue réussit à créer cette intersubjectivité, c’est qu’il utilise le langage cet objet culturel qui va jouer un rôle essentiel dans la perception d’autrui. Or le langage n’appartient à personne. Car c’est un objet culturel au plus haut degré, sa réalité est totalement arbitraire et conventionnelle. Il ne tient que par la convention implicite entre les hommes qui le parlent. Il vit d’ailleurs de cet usage, grandit, se modifie, s’altère et meurt au rythme de l’histoire des peuples qui le parlent. Il en va du mot comme il en va de la monnaie : son signification ne vaut qu’à l’intérieur d’un échange où chacun accepte de reconnaître sa valeur. Comme elle, le mot peut se déprécier. C’est l’échange qui le vivifie.

            Certes, on pourrait considérer que même dans l’animalité un tel terrain commun existe : après tout, tous les animaux au sein d’une même espèce se rencontrent dans la soumission à la même structure instinctuelle. Mais ce serait oublier que la structure de la langue ne contient pas en puissance le contenu de l’échange ; c’est dans la rencontre des deux actes de parole que se fait le sens. Les animaux transmettent des informations, ils ne construisent ni ne communiquent du sens. Parler ce n’est pas seulement faire preuve d’une compétence linguistique, dont serait capable un perroquet, mais aussi de performance qui n’appartient qu’à l’homme. Or, c’est un nouveau monde que créent ainsi ceux qui se parlent : ce «même monde » peuplé  par des « êtres à deux » n’est plus une nature prédéterminée où le spécimen ne se distingue pas d’un autre, mais une culture peuplée de personnes.

            Idéalement, le dialogue constitue donc une communauté spirituelle entre les hommes. C’est en se parlant qu’ils renoncent à la violence de la brute pour partager entre eux les fruits de la civilisation. Nous allons maintenant étudier en quoi cet échange est la condition des progrès de notre pensée.

1 - En quoi le dialogue est-il créateur de cette  intersubjectivité où nous pouvons échanger à égalité avec  autrui ?

1.1                Relevé et explication des métaphores (tissu commun etc.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1.2                - En quoi le langage constitue-t-il de manière privilégiée ce terrain d’entente ?

 

 

 

1.3                Le dialogue signe le plus évident du passage à l’humanité

 

 

 

 

 

 

 

 

Conclusion de la première partie

 

            Quel est le fruit de cette « collaboration » de cette « réciprocité parfaite » ? Notons tout d’abord la restriction apportée par l’auteur : il s’agit du dialogue présent, du dialogue en cours, où les deux interlocuteurs, tels Socrate et les siens sont en présence. Nous verrons plus loin que la situation risque de changer lorsque autrui est « entré dans son absence » Idéalement donc, le dialogue nous fait découvrir « des pensées que [nous] ne savions pas posséder ».

            Pourquoi l’auteur parle-t-il tout d’abord d’un dialogue qui « me libère de moi-même » Qu’est-ce qu’une pensée qui ne s’exprime pas ? Peut-être cet ineffable  que nous appelons communément notre vécu, ensemble amorphe de sentiments, sensations, impressions, mais qui ne s’organise pas en pensées distinctes.

Or c’est le langage, comme Hegel l’a remarqué, qui vient déterminer cette pensée en lui donnant une forme externe, celle du mot. Il permet aux pensées de se différencier les unes des autres.

Plus encore, en tant qu’il s’exprime au monde extérieur, le mot fait apparaître ma pensée sur la scène du monde où il rencontre et se confronte à la pensée d’autrui. Dans la solitude intérieure du vécue, mes pensées sont absolument vraies ou absolument fausse, et rien ne distingue une représentation délirante d’une perception juste ; rencontrant autrui, lui communiquant mes idées, je les soumets au risque critique de sa pensée. Il les valide, les contredit («l’objection que me fait l’interlocuteur » ), les précise, mais ce faisant, il les reconnaît comme signifiantes.

On peut donc dire que l’expression de mes pensées à autrui dans le dialogue les fait accéder au statut de pensées réelles : elle les fait passer du statut de particularité subjective à celui de l’universalité. Je [et autrui] suis libéré de moi-même.

            Mais Merleau-Ponty ne dit pas seulement que le dialogue me permet de découvrir ma pensée : il en fait le mode privilégié du progrès dans la construction d’une vérité commune et fait des acteurs de ce dialogue les artisans de cette construction.

            Dans le Gorgias, Socrate nous donne l’exemple de ce que devrait être le dialogue présent. Alors que ses interlocuteurs Gorgias, Polos ou Caliclès considèrent l’art oratoire comme un art de combat, destiné à l’emporter sur l’adversaire, et ce, indépendamment de la valeur des idées énoncées, Socrate proclame que son plaisir est d’être réfuté, si du moins cette réfutation fait progresser ensemble les interlocuteurs vers la vérité. De même il ne convoque que la bonne foi  de Polos et la sienne : peu importe que le jeune homme mette les rieurs de son côté ou convoque l’humanité entière au secours de ses opinions, lui, Socrate, ne requiert que la bonne volonté et l’honnêteté des interlocuteurs, ceux qui sont là dans le dialogue présent. Qui plus est, dans un certain nombre de dialogues dits « aporétiques » il préfère que la discussion échoue plutôt que d’imposer des points de vue qu’il  sait justes à ses interlocuteurs. Mais aussi Socrate nous offre ici l’exemple de ce que nous pouvons appeler le dialogue vertueux, la réciprocité de l’échange si je lui prête des pensées, il me fait penser en retour. Le sens créé, la vérité que l’on traque, ne se ramène ni à la conviction passionnée ni à la séduction d’une parole charmeuse : le but du dialogue est de cerner ensemble au plus près l’idée.

            L’histoire des sciences nous offre un second exemple de dialogue constructif. Avec l’invention de l’imprimerie, vers 1450 le dialogue n’est plus seulement l’échange entre deux êtres co-présents, mais grâce à la publicité des résultats entre savants au sein d’une même « cité des sciences », co-présents en idée. C’est ainsi que se diffuseront dans toute l’Europe les écrits de Copernic, Galilée, Descartes et autres Newton. Cette communication rendra difficile la confiscation du savoir par une caste, permettra de dénoncer les supercheries, et surtout, favorisera le progrès des idées. Kant à l’époque des lumières  dira : […] penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres. Le dialogue n’est plus, au sens strict, présent : il est présent en idée, il permet à Einstein et à Bohr de communiquer sans frontières, aussi bien qu’il nous permet à deux millénaires de distance de dialoguer virtuellement avec Socrate.

Qu’il soit présent dans les faits, ou présent en idée, qu’il soit l’échange de deux hommes ou celui d’hommes au sein d’une communauté de pensée, le dialogue est le mode par lequel notre pensée s’enrichit. Tel Socrate, qui accouchait les âmes, le dialogue nous fait penser autrement, en nous proposant,  face à nos certitudes, d’autres points de vue possibles, ceux d’autrui, capable de les ébranler et de les faire progresser. Ainsi, « l’objection que me fait mon interlocuteur m’arrache des pensées que je ne savais pas posséder »

2- En quoi le dialogue est-il la condition des progrès de la pensée ?

 

 

 

 

2.1    - La « libération de moi-même » : vécu particulier et pensée universelle

 

2.2.1 - Le mot             donne une forme             à la      pensée

2.2.2 – Parler             c’est confronter             sa pensée au             risque du monde             et lui conférer             une réalité

 

 

 

2.2.3 – Le             dialogue permet             à ma pensée de             s’universaliser

 

articulation discursive

 

 

2.2    - Socrate dans le Gorgias : exemple du dialogue vertueux

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2.3    - La « cité des sciences » : publicité et progrès des connaissances

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conclusion de la seconde partie

 

Dans la dernière partie du texte, Merleau-Ponty s’interroge sur « l’après » du dialogue : que se passe-t-il lorsque autrui rentre dans son absence ? Il y apporte deux réponses : soit que les idées comme résultantes du dialogue s’intègrent à ma propre pensée, soit qu’elles restent marquées du sceau de l’altérité c’est à dire qu’elles sont ressenties comme le signe d’un pouvoir qu’autrui continue à exercer sur moi, au-delà du dialogue.

 

 Dans le premier cas, la conscience a refait son unité : mes idées ne sont plus issues d’une relation, elles coexistent avec mes autres idées : le cogito ne fait plus qu’un : «  je puis le [le dialogue] réintégrer à ma vie, en faire un épisode de mon histoire privée ». Je me sens donc libre et ma pensée ne semble n’appartenir qu’à moi.

 

Dans le second cas, je continue à ressentir le poids de la présence d’autrui : ces idées sont ressenties comme étrangères, leur vérité n’est pas instruite par un accord de moi avec moi-même, mais comme allégeance à une source extérieur, cet autre dont je ne puis me défaire :« dans la mesure où il me reste présent, est senti comme une menace pour moi». Cette idée est d’autant moins supportable que le dialogue étant achevé, je ne peux plus retrouver la communion précédemment vécue, et autrui est maintenant comme un corps étranger une greffe exogène de pensée sur ma propre pensée, que je porterais en moi.

 

Notons cependant une menace plus grave encore que celle que signale Merleau-Ponty. Car dans le cas cité, autrui reste consciemment présent en moi ; plus grave serait, pour l’intégrité de ma pensée, qu’il y soit de manière inconsciente, sous forme d’un lien de sujétion. Car l’adhésion que je donne aux idées découvertes dans le dialogue peut aussi bien être une adhésion rationnelle qu’une adhésion affective, ou fantasmatique. Dans ce dernier cas, ce n’est pas le contenu propre de l’idée à laquelle j’adhère, mais son contenu fantasmé, qui porte la marque de ma dépendance à autrui. D’ailleurs la faute, s’il en est une, n’incomberait pas nécessairement à autrui : je puis être séduit par lui ou par elle, mais surtout par le désir que j’ai de lui ou d’elle. Mes perspectives sont alors faussées ; resterait à établir, dans cette fausse adhésion aux idées  du dialogue, la part qui revient à ses manœuvres ou celle qui revient à son habileté à me séduire, et celle qui revient à mon propre désir d’être séduit.

 

 

 

3 - En quoi autrui peut-il être à la fois l’interlocuteur qui libère ma pensée et celui qui menace sa liberté ?

           

 

3.1 - Après le dialogue :             pensée mienne             ou pensée             aliénée?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Remarque critique : ouverture sur un débat plus large

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D’autre part, il nous faut bien aussi considérer que le dialogue décrit par Merleau-Ponty est une situation idéale, rarement atteinte. Car si le dialogue peut être vertueux, il peut aussi être perverti.

 

La plus grossière de ces perversions est évidemment le mensonge, encore qu’il faudrait distinguer entre des formes plus ou moins subtiles de modification ou de dissimulation de la vérité. Dans le dialogue décrit par Merleau-Ponty, on suppose les interlocuteurs de bonne foi et bonne volonté, ce que demande par exemple Socrate à ses amis. Nous devons bien tenir compte que des intentions subjectives, des intérêts passionnels peuvent altérer cet angélisme. Le tyran peut organiser les conditions de son mensonge en affaiblissant les capacités critiques de ses sujets[12] : le but n’est pas de bonifier l’âme des citoyens (ce qui devait être selon Socrate, la mission du politique) mais de les asservir. Le message importe donc peu, ce qui compte c’est le pouvoir.

 

Mais le dialogue n’est pas seulement perverti par celui qui veut dominer l’autre : le dominé est aussi complice de son asservissement. La rhétorique est d’autant plus efficace qu’elle flatte : c’est d’ailleurs ainsi que la définira Socrate dans le Gorgias : non pas un art, ni une science, mais une flatterie. Dans cette perversion du dialogue, le dominant sait identifier ce qui, dans le désir du dominé, lui permettra d’assurer son pouvoir sur lui. Devant un tribunal d’enfants[13], le confiseur sera plus à l’aise que le dentiste : le premier produit des sucreries aimées des enfants, le second leur soigne des caries en pratiquant une « torture salutaire ». Dans Les liaisons dangereuses, de Laclos, Madame de Merteuil assure son pouvoir sur Valmont car elle a repéré la contradiction de ses désirs : sa vanité d’une part, et son désir amoureux envers Madame de Tourvel, d’autre part. Son discours use de cette faille pour  faire de Valmont sa chose.

Le dialogue dont parle Merleau-Ponty requiert donc des qualités rares : celles de privilégier les intérêts raisonnables aux intérêts passionnels, condition difficile à réaliser et qui limite la portée de son propos à une vertu rarement atteinte.

 

 

On pourrait enfin montrer que le dialogue vertueux est souvent impossible. Le postulat initial de Merleau-Ponty, c’est l’idée d’un langage qui constitue la commune patrie des hommes. Il se situe là dans la lignée de la philosophie platonicienne où le philosophe dialogue sur un pied d’égalité avec l’esclave, comme dans le Ménon. Socrate ne requiert  initialement du serviteur qu’une seule chose « sait-il le grec ?» Mais la société réelle ne ressemble pas forcément à cette citée idéale. Dans la relation qu’il donne dans la revue «Les Lettres Nouvelles » du procès Dominici[14], Roland Barthes[15] relève ce mythe de la transparence et de l’universalité du langage, qui fait qu’un homme parlant un patois rural est condamné par des juges qui parlent la langue officielle des cours d’assises, qu’il ne comprend pas. Le dialogue du juge et du chevrier ferait rire si l’un d’eux n’y jouait pas sa tête : « Etes­-vous allé au pont? — Allée? il n’y a pas d’allée, je le sais, j’y suis été.» On assiste à une parodie de dialogue, où s’opposent sans se rencontrer deux variétés également pittoresques du langage, mais dont l’une est le langage du pouvoir. Et Barthes de conclure que dans ce procès fut  « le spectacle d’une terreur dont nous sommes tous menacés, celle d’être jugés par un pouvoir qui ne veut entendre que le langage qu’il nous prête. Nous sommes tous Dominici en puissance, non meurtriers, mais accusés privés de langage, ou pire, affublés, humiliés, condamnés sous celui de nos accusateurs. Voler son langage à un homme au nom même du langage, tous les meurtres légaux commencent par là. »

Ainsi, le postulat initial de Merleau-Ponty fait preuve d’un optimisme excessif : si nous ne sommes pas tous égaux devant le langage, comment le dialogue peut constituer cette patrie idéale commune à tous les hommes ?

 

            Et cependant, avons-nous vraiment  le choix ? Sartre, dans « Huis clos » reprend ce thème de la menace d’autrui pour moi dans la célèbre formule « l’enfer, c’est les autres ». Il voulait signifier par là qu’autrui était à la fois une nécessité pour moi (autui médiateur indispensable entre moi et moi-même), et que cette exigence même mettait fin à l’illusion de liberté naturelle d’un être posé dans son auto-suffisance. En d’autres termes, sans autrui, je ne suis pas, ma liberté est infinie, mais virtuelle. La présence d’autrui me fonde en tant qu’être, mais puisque j’ai besoin de lui, ruine en même temps ma prétention à être libre, à me suffire à moi-même. Je n’ai le choix qu’entre une liberté sans l’autre, infinie, mais purement virtuelle, et une liberté devant autrui, réelle, mais dépendante de ce que je ne suis pas.

On peut alors se demander en revenant sur la dernière phrase du texte de Merleau-Ponty, s’il n’est pas inévitable qu’autrui « soit ressenti comme une menace pour moi » Car, si ma pensée relève pour être de la rencontre avec celle d’autrui, cela signifie qu’elle n’est pas totalement libre. Mais sans doute est-ce là une donnée fondamentale de notre condition : nous ne sommes pas des dieux, et notre pensée ne peut jamais se constituer comme une absolu, mais comme le produit d’une relation à ce qui n’est pas nous.

 

 

 

3.2 - La parole pervertie

           

 

           

            3.2.1 – le             mensonge.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

            3.2.2 – le             langage comme             arme : la             rhétorique, ou la             flatterie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           

 

 

 

 

            3.2.3 – Le             langage volé : le             mythe de l’égalité             de tous devant

            les mots.

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3.3 – Même si «L’enfer,

            c’est les autres »,             avons- nous le             choix ?

 

 

 

 

 

 

 

 

Conclusion et retour au texte        

Conclusion

 

Quelle perception avons-nous d’autrui dans l’expérience du  dialogue ? Elle est essentiellement duale : autrui est à la fois la condition de mon existence et du développement de ma pensée, alors même que je le ressens toujours comme une menace potentielle pour l’intégrité de ma pensée. Nous ne pouvons être sans autrui, pas plus que nous ne supportons de vivre sous autrui. Mais ce dualisme est l’expression de notre condition, et c’est dans ce déchirement que nous devons vivre.

 

 

 

Retour au thème principal : la perception d’autrui dans l’expérience du dialogue

 


Conclusion : La communication n’est pas la nouvelle éthique[16].

 

La communication est le nouveau mot d’ordre de notre société. Mais elle se présente à nous sous la forme effrayante de moyens dépourvus d’âme : nous avons développé une puissance impressionnante en termes quantitatifs, sans nous être demandé d’abord ce que nous voulions transmettre comme sens[17].

Certes, nous ne voulons pas entonner ici un hymne rétrograde sur le thème de « Sus au progrès !»[18], mais on pourrait remarquer que, mis à part la question des moyens, les problèmes posés par la communication aujourd’hui ne se posent pas en des termes très différents de ceux rencontrés il y a 2500 ans par Socrate.

 

La question reste d’abord éthique : à quoi bon communiquer, si ce n’est pour que les hommes se sentent plus solidaires et que l’humanité soit mieux à même de diffuser les bienfaits du savoir, de rendre publiques les progrès des sciences, de favoriser le débat sur les droits de l’homme, la justice, la beauté, etc…

Elle est toujours politique[19] : saurons-nous éviter les pièges du conditionnement de masse, de la désinformation, du mensonge démagogique ? Car si nous avons des moyens supérieurs à ceux des hommes de l’antiquité, sommes-nous plus sages, plus vigilants, ou plus vertueux qu’eux ? Mais si nous n’avons guère progressé sur ces points alors même que nos techniques connaissent un développement exponentiel, le danger n’en est-il pas plus grand de nous courber sous le joug de ceux qui, détenant l’information, détiendront le pouvoir ?

Elle est enfin ontologique : tout comme Socrate, qui voyait dans le dialogue le moyen d’accoucher l’âme des Idées qu’elle recelait mais ignorait posséder, voudrons-nous faire de ces magnifiques moyens de l’avènement de la spiritualité humaine ?

 

Communiquer n’est ni un devoir, ni une valeur, ni une panacée. Le discours actuel sur le miracle des médias n’est qu’une production rhétorique de plus dans la longue histoire des mensonges.

 

 

                        Michel Le Guen 11/2001

            ANNEXE

Roland Barthes : Dominici ou le triomphe de la littérature

in Mythologie Editions du seuil, Paris 1987, p. 50 et sq.

Tout le procès Dominici s’est joué sur une certaine idée de la psychologie, qui se trouve être comme par hasard celle de la Littérature bien-pensante. Les preuves maté­rielles étant incertaines ou contradictoires, on a eu recours aux preuves mentales; et où les prendre sinon dans la mentalité même des accusateurs? On a donc reconstitué de chic mais sans l’ombre d’un doute, les mobiles et l’enchaînement des actes; on a fait comme ces archéo­logues qui vont ramasser de vieilles pierres aux quatre coins du champ de fouille, et avec leur ciment tout moderne mettent debout un délicat reposoir de Sésostris, ou encore qui reconstituent une religion morte il y a deux mille ans en puisant au vieux fonds de la sagesse univer­selle, qui n’est en fait que leur sagesse à eux, élaborée dans les écoles de la III’ République.

De même pour la psychologie » du vieux Dominici. Est-ce vraiment la sienne? On n’en sait rien. Mais on peut être sûr que c’est bien la psychologie du président d’assises ou de l’avocat général. Ces deux mentalités, celle du vieux rural alpin et celle du personnel justicier, ont-elles la même mécanique? Rien n’est moins sûr. C’est pourtant au nom d’une psychologie universelle» que le vieux Dominici a été condamné: descendue de l’empyrée charmant des romans bourgeois et de la psychologie essentialiste, la Lit­térature vient de condamner un homme à l’échafaud. Ecou­tez l’avocat général : «  Sir Jack Drummond, je vous l’ai dit, avait peur. Mais il sait que la meilleure façon de se défendre, c’est encore d’attaquer. II se précipite donc sur cet homme farouche et prend le vieil homme à la gorge. Il n’y a pas un mot d’échangé. Mais pour Gaston Dominici, le simple fait qu’on veuille lui faire toucher terre des épaules est impensable. Il n’a pas pu, physiquement, supporter cette force qui soudain s’opposait à lui. » C’est plausible comme le temple de Sésostris, comme la Littérature de M. Gene­voix. Seulement, fonder l’archéologie ou le roman sur un « Pourquoi pas? », cela ne fait de mal à personne. Mais la Justice? Périodiquement, quelque procès, et pas forcément fictif comme celui de l’Etranger, vient vous rappeler qu’elle est toujours disposée à vous prêter un cerveau de rechange pour vous condamner sans remords, et que, cornélienne, elle vous peint tel que vous devriez être et non tel que vous êtes.

Ce transport de Justice dans le monde de l’accusé est possible grâce à un mythe intermédiaire, dont l’officialité fait toujours grand usage, que ce soit celle des cours d’assises ou celle des tribunes littéraires, et qui est la transparence et l’universalité du langage. Le président d’assises, qui lit le Figaro, n’éprouve visiblement aucun scrupule à dialoguer avec le vieux chevrier « illettré ». N’ont-ils pas en commun une même langue et la plus claire qui soit, le français? Merveilleuse assurance de l’éducation classique, où les bergers conversent sans gêne avec les juges! Mais ici encore, derrière la morale prestigieuse (et grotesque) des versions latines et des dissertations fran­çaises, c’est la tête d’un homme qui est en jeu.

La disparité des langages, leur clôture impénétrable, ont pourtant été soulignées par quelques journalistes, et Giono en a donné de nombreux exemples dans ses comptes rendus d’audience. On y constate qu’il n’est pas besoin d’imaginer des barrières mystérieuses, des malentendus à la Kafka. Non, la syntaxe, le vocabulaire, la plupart des matériaux élémentaires, analytiques, du langage se cherchent aveuglé­ment sans se joindre, mais nul n’en a scrupule: «  Etes-­vous allé au pont? — Allée? il n’y a pas d’allée, je le sais, j’y suis été. » Naturellement tout le monde feint de croire que c’est le langage officiel qui est de sens commun, celui de Dominici n’étant qu’une variété ethnologique, pitto­resque par son indigence. Pourtant, ce langage présidentiel est tout aussi particulier, chargé de clichés irréels, langage de rédaction scolaire, non de psychologie concrète (à moins que la plupart des hommes ne soient obligés, hélas, d’avoir la psychologie du langage qu’on leur apprend). Ce sont tout simplement deux particularités qui s’affrontent. Mais l’une a les honneurs, la loi, la force pour soi.

Et ce langage « universel » vient relancer à point la psychologie des maîtres : elle lui permet de prendre toujours autrui pour un objet, de décrire et de condamner en même temps. C’est une psychologie adjective, elle ne sait que pourvoir ses victimes d’attributs, ignore tout de l’acte en dehors de la catégorie coupable où on le fait entrer de force. Ces catégories, œ sont celles de la comédie classique ou d’un traité de graphologie : vantard, coléreux, égoïste, rusé, paillard, dur, l’homme n’existe à ses yeux que par les « caractères » qui le désignent à la société comme objet d’une assimilation plus ou moins facile, comme sujet d’une soumission plus ou moins respectueuse. Utilitaire, mettant entre parenthèses tout état de conscience, cette psychologie prétend cependant fonder l’acte sur une intériorité préalable, elle postule « l’âme »; elle juge l’homme comme une « conscience », sans s’embarrasser de l’avoir premièrement décrit comme un objet.

Or cette psychologie-là, au nom de quoi on peut très bien aujourd’hui vous couper la tête, elle vient en droite ligne de notre littérature traditionnelle, qu’on appelle en style bourgeois, littérature du Document humain. C’est au nom du document humain que le vieux Dominici a été condamné. Justice et littérature sont entrées en alliance, ont échangé leurs vieilles techniques, dévoilant ainsi leur iden­tité profonde, se compromettant impudemment l’une par l’autre. Derrière les juges, dans des fauteuils curules, les écrivains (Giono, Salacrou). Au pupitre de l’accusation, un magistrat? Non, un conteur extraordinaire », doué d’un « esprit incontestable » et d’une « verve éblouissante »(selon le satisfecit choquant accordé par le Monde à l’avo­cat général). La police elle-même fait ici ses gammes d’écri­ture. (Un commissaire divisionnaire: « Jamais je n’ai vu menteur plus comédien, joueur plus méfiant, conteur plus plaisant, finaud plus matois, septuagénaire plus gaillard, despote plus sûr de lui, calculateur plus retors, dissimula­teur plus rusé... Gaston Dominici, c’est un étonnant Frégoli d’âmes humaines, et de pensées animales. Il n’a pas plu­sieurs visages, le faux patriarche de la Grand’Terre, il en a cent !) Les antithèses, les métaphores, les envolées, c’est toute la rhétorique classique qui accuse ici le vieux berger. La justice a pris le masque de la littérature réaliste, du conte rural, cependant que la littérature elle-même venait au prétoire chercher de nouveaux documents « humains », cueillir innocemment sur le visage de l’accusé et des sus­pects, le reflet d’une psychologie que pourtant, par voie de justice, elle avait été la première à lui imposer.

Seulement, en face de la littérature de réplétion (donnée toujours comme littérature du « réel » et de I’ humain), il y a une littérature du déchirement : le procès Dominici a été aussi cette littérature-là. II n’y a pas eu ici que des écrivains affamés de réel et des conteurs brillants dont la verve éblouissante emporte la tête d’un homme ; quel que soit le degré de culpabilité de l’accusé, il y a eu aussi le spectacle d’une terreur dont nous sommes tous menacés. celle d’être jugés par un pouvoir qui ne veut entendre que le langage qu’il nous prête. Nous sommes tous Dominici en puissance, non meurtriers, mais accusés privés de langage, ou pire, affublés, humiliés, condamnés sous celui de nos accusateurs. Voler son langage à un homme au nom même du langage, tous les meurtres légaux commencent par là.

 

 



[1] Cf. « Lecture du Ménon », disponible sur Philo’n net

[2] Nous vous proposons de retrouver cette analyse dans « Lecture du Ménon », disponible sur Philo’n net

[3] Il serait tentant de faire ici une analogie  entre le corps social et le corps vivant. Les divers organes qui le composent échangent, et leur solidarité maintient le tout en vie ; mais sans circulation au sein d’un corps, la vie s’arrête.

4 Le Désir humain doit porter sur un autre Désir. Pour qu’il y ait Désir humain, il faut donc qu’il y ait tout d’abord une pluralité de Désirs  (animaux). Autrement dit, pour que la Conscience de soi puisse naître du Sentiment de soi, pour que la réalité humaine puisse se constituer à l’intérieur de la réalité animale, il faut que cette réalité soit essentiellement multiple. L’homme ne peut donc apparaître sur terre qu’à  l’intérieur d’un troupeau. C’est pourquoi la réalité humaine ne peut être que sociale. Mais pour que le troupeau devienne une société, la seule multiplicité des Désirs ne suffit pas, il faut encore que les Désirs de chacun des membres du troupeau portent ou puissent porter — sur les Désirs des autres membres. Si la réalité humaine est une réalité sociale, la société n’est humaine qu’en tant qu’ensemble de Désirs se désirant mutuellement en tant que Désirs, Le Désir humain, ou mieux encore anthropogène, constituant un individu libre et historique conscient de son individualité, de sa liberté, de son histoire, et, finalement, de son historicité — le Désir anthropogène diffère donc du Désir animal (constituant un être naturel, seulement vivant et n’ayant qu’un sentiment de sa vie) par le fait qu’il porte non pas sur un objet réel, « positif », donné, mais sur un autre Désir. Ainsi, dans le rapport entre l’homme et la femme, par exemple, le Désir n’est humain que si l’un désire non pas le corps, mais le Désir de l’autre, s’il veut « posséder » ou « assimiler « le Désir pris en tant que Désir, c’est-à-dire s’il veut être «désiré ou «aimé ou bien encore « reconnu » dans sa valeur humaine, dans sa réalité d’individu humain. De même, le Désir qui porte sur un objet naturel n’est humain que dans la mesure où il est « médiatisé » par le Désir d’un autre portant sur le même objet : il est humain de désirer ce que désirent les autres, parce qu’ils le désirent. Ainsi, un objet par­faitement inutile au point de vue biologique.(tel qu’une décoration, ou le drapeau de l’enne­mi) peut être désiré parce qu’il fait l’objet d’autres désirs. Un tel Désir rie peut être qu’un Désir humain, et la réalité humaine en tant que différente de la réalité animale ne se crée que par l’action qui satisfait de tels Désirs L’histoire humaine est l’histoire des Désirs désirés. (A. Kojéve, Introduction à la lecture de Hegel, Gallimard, 1947, p. 13.)

[5] Il y a sans doute une certaine audace à suggérer ici une continuité d’étymologie entre « nomos/nomisma », d’une part et le mot français « nom », d’autre part. Rien dans l’étymologie ne le permet. Nous le prendrons donc pour un hasard heureux qui vient donner une extension heureuse au propos d’Aristote.

[6] Que penser par exemple d’un jeu dont on changerait les règles en cours de partie, en fonction des intérêts particulier de l’un ou l’autre des joueurs ? On ne peut brusquement déclarer qu’en réalité on jouait à « qui perd gagne » La règle doit être fixée a priori, pour être juste.

[7] Cf. infra, note 11 ;  Je donne ici en italique un résumé du texte de Barthes, que l’on retrouvera en annexe

[8] Acculturation : processus par lequel un peuple dominé apprend, généralement sous la contrainte, la culture du peuple dominant.

[9] La Fontaine : Le loup et l’agneau

[10] La Fontaine : Les animaux malades de la peste : « un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue qu’il fallait dévoués ce maudit animal, ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal ; Manger l’herbe d’autrui ? Quel crime abominable ; rien que la mort n’était capable d’expier son forfait : on le lui fit bien voir ! »

[11] Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) Philosophe français

[12] Intéressant de rapprocher deux textes :

Gorgias :

[La rhétorique] est le pouvoir de convaincre, grâce aux discours, […] dans n’importe quelle réunion de citoyens, [pouvoir de] parler aux masses et les […]convaincre.  

Socrate :

La rhétorique est donc semble-t-il, productrice de conviction ; elle fait croire que le juste et l’injuste sont ceci et cela, mais elle ne les fait pas connaître

[…]

La rhétorique n’a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle ; simplement, elle a découvert un procédé qui sert à convaincre, et le résultat est que, devant un public d’ignorants, elle a l’air d’en savoir plus que n’en savent les connaisseurs.

Aldof Hitler  :

[…] il s’agit de l’affaiblissement du libre arbitre de l’homme. […] Le matin et encore pendant la journée, les forces de la volonté des hommes s’opposent avec la plus grande énergie au tentatives de leur suggérer une volonté étrangère, une opinion étrangère. Mais le soir, ils succombent plus facilement à la force dominatrice d’une volonté plus puissante.

[…]

Il faut mesurer le discours d’un homme d’Etat à son peuple, non d’après l’impression qu’il produit sur un professeur d’université, mais par son action sur le peuple lui-même.

Le premier date du Ve siècle avant J.C.,  c’est une extrait du Gorgias, de Platon. Le second date de 1934. Question : de qui est cette médiocre recette de cuisine, quel prétendu surhomme en est l’auteur ?

[13] Cf. Platon, Le Gorgias, 242-3, p. 300 dans l’édition de Monique Canto (Garnier-Flammarion)

[14] « L’affaire Dominici » est une des affaires criminelles les plus célèbres de l’immédiate après guerre. Un vieux berger provençal fut accusé du meurtre d’un campeur britannique, de sa femme et de sa fille. Condamné à mort il devait par la suite bénéficier d’une grâce.

[15] Roland Barthes (1915-1980) Critique et sémiologue français. Je donne en annexe le texte de l’article sur l’affaire Dominici, daté de 1954, et paru par la suite dans le recueil Mythologies, Ed. du Seuil

[16] Le titre peut surprendre ; il m’est inspiré par la fréquentation des épreuves d’entretien aux concours d’entrée des grandes écoles, d’ingénieur ou de commerce. Quand on interroge des candidats sur leurs qualités, celle qui revient dans près de 80 % des réponses est « j’aime les relations, j’aime communiquer etc… » comme si le simple fait de communiquer était devenu une valeur morale de premier plan et devait faire partie d’un incontournable Credo. Je ne suis pas dupe, je pense que les candidats ne font que dire ce que leur souffle la mode : peu d’entre eux aurait idée de citer comme leurs valeurs dominantes l’honnêteté, la persévérance, la loyauté, le travail, autant de valeurs qui me semblent pourtant « aussi » recevables ou du moins susceptible d’intéresser leur future formation ou leur futur employeur... (remarque personnelle)

[17] Une rapide enquête sur les « chats » de l’internet, ou une écoute (indiscrète mais subie) de quelques conversations téléphoniques impudiques via portable est édifiante sur le contenu de ce qui est dit ! et dire qu’une technologie puissante, que de grands esprits, des moyens financiers énormes se sont unis pour que les modernes Bidochon branchés puissent avertir leurs épouses de chauffer la soupe, qu’ils arrivent !

[18] Nous en aurions d’ailleurs mauvaise grâce, philo’n net bénéficiant largement de ces progrès ! (remarque très personnelle, vous n’avez rien lu !)

[19] Et pas seulement dans des fictions comme 1984 de Georges Orwell. Certains pensent qu’il s’était trompé de date puisque 1984 est derrière nous, et que nous n’avons pas encore vu naître Big Brother ; les autres pensent que nous y sommes déjà ! (rappelons nous que le premier IBM 8086 est sorti précisément en 1984, date de la création de Microsoft ) (remarque encore plus personnelle)